Il y a soixante ans s’est tenu le premier « Congrès de l’Europe » à La Haye du 7 au 10 mai 1948. 750 délégués étaient présents venant de presque tous les pays d’Europe, de la France à la Roumanie, de l’Allemagne à la Pologne, de l’Italie à la Hongrie. Seuls quarante députés travaillistes britanniques renoncent à participer à la suite d’une interdiction édictée par la direction de leur parti. Le Congrès est organisé par des associations, la plupart issue des mouvements de la Résistance. Parmi elles l’union des fédéralistes européens, le mouvement pour les Etats-Unis socialistes d’Europe et les nouvelles équipes internationales. C’est Winston Churchill qui assure la présidence.
L’objectif du Congrès est précisé dès novembre 1947 : « indiquer la formation des Etats-Unis d’Europe comme objectif commun de travail de toutes les forces démocratiques européennes ». Cette réunion se tient dans un contexte particulier. La guerre est terminée depuis trois ans mais l’Allemagne est occupée par les Alliés et la République Fédérale n’est pas constituée. Surtout le « Coup de Prague » a eu lieu en février 1948. La guerre froide s’installe et la frontière des deux blocs est symbolisée par la prise de pouvoir des Communistes en Tchécoslovaquie. Le Congrès réunira d’éminentes personnalités comme Konrad Adenauer et François Mitterrand, Paul Reynaud et Alcide de Gasperi. Il sera marqué par un clivage entre unionistes et fédéralistes qui n’en finit pas de durer. Les premiers, dont Winston Churchill, souhaitent une simple coopération entre Etats. Les seconds demandent un transfert partiel de souveraineté pour aller vers une Fédération européenne. L’Union européenne d’aujourd’hui est un mélange de ces deux conceptions.
Cette différence d’approche n’empêchera pas Churchill d’avoir les mots qui conviennent au lendemain d’un conflit mondial meurtrier : « Nous ne nous sauverons des périls qui approchent qu’en oubliant les haines du passé, en laissant mourir les rancoeurs nationales et les idées de revanches, en effaçant progressivement les frontières et les barrières qui aggravent et congèlent nos divisions, et en nous réjouissant ensemble de ce trésor glorieux de littérature, d’éthique, de pensée et de tolérance, qui nous appartient à tous, et qui est le véritable héritage de l’Europe, l’expression de son génie et de son honneur, et que par nos querelles, nos folies, nos guerres et les actes cruels et terribles qu’amènent les guerres et les tyrans, nous avons failli perdre. » François Mitterrand rappellera souvent sa présence à ce Congrès. Il a évoqué son enthousiasme de jeune parlementaire de la façon suivante : « Va-t-on préparer la troisième guerre mondiale ? L’Europe va-t-elle continuer à s’autodétruire pour des intérêts en 1914 ou des idéologies en 1939 ? Ne faut-il pas inventer une autre forme d’organisation de notre continent ? »
Le Congrès se terminera par un « Message aux Européens » rédigé et lu par Denis de Rougemont. Il appelle à l’élimination des restrictions à l’échange des marchandises, la convertibilité des monnaies, la mobilité de la main-d’oeuvre, la coordination des politiques économiques, la promotion du plein emploi. Il souhaite une Assemblée européenne élue au suffrage universel, l’adoption d’une Charte des droits, la création d’un centre européen de la jeunesse et de la culture. Tous ces projets ont pris en partie corps. Certains ont été réalisés. D’autres n’ont pas encore vu le jour. Chacun le voit : l’Europe est une histoire longue. Comme l’a dit un dirigeant chinois : « J’admire la sage lenteur de la construction européenne. » Rien n’empêche cependant d’accélérer !
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