De nombreuses études ont souligné l'impact négatif du travail de nuit à plus ou moins long terme, en particulier sur le plan de la santé, avec des troubles du sommeil, des risques cardiovasculaires, voire un accroissement des risques de cancer, mais aussi au regard des conditions de travail ou de la vie sociale et familiale.
Or, le travail de nuit continue de se développer – près d'un salarié sur cinq travaille habituellement la nuit – ce qui souligne les limites de notre droit actuel affirmant son caractère exceptionnel et pose une véritable question de santé publique pour un nombre croissant de salariés.
Comment intégrer cette question dans le débat sur la réforme des retraites ?
Comment repenser les modalités de recours au travail de nuit et promouvoir des organisations du travail soucieuses de la santé des salariés et de l'équilibre de leur vie familiale.
C’est l’objet du rapport récent de François Edouard au Conseil économique, social et environnemental
Note de présentation
Sujet : « Le travail de nuit : impact sur les conditions de travail et de vie des salaries »
Près d’un salarié sur cinq travaille habituellement la nuit et le phénomène tend à se développer malgré l’adoption de la loi du 9 mai 2001 qui avait notamment pour ambition d’encadrer plus strictement le travail de nuit.
En principe exceptionnel, le recours au travail de nuit doit, en effet, être justifié par la nécessité d’assurer la continuité de l’activité économique ou des services d’utilité sociale en prenant en compte les impératifs de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs. Car le travail de nuit, régulier et prolongé, peut avoir des répercussions néfastes tant sur les conditions de travail et de vie des salariés que, surtout, sur leur santé, ce qui pose une véritable question de santé publique.
Dans ce contexte, notre assemblée recommande d’encadrer plus strictement le travail de nuit afin de mieux prendre en compte la santé des travailleurs et l’équilibre leur vie sociale et familiale.
I – L’IMPACT DU TRAVAIL DE NUIT
La loi du 9 mai 2001 sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a permis de mettre notre législation sur le travail de nuit en conformité avec le droit européen.
A- UN TRAVAIL DE NUIT EN AUGMENTATION
Malgré la volonté du législateur de 2001, le recours au travail de nuit tend à progresser en France, notamment pour les femmes. La proportion des femmes travaillant la nuit a augmenté de + 59 % entre 2002 et 2008.
De nombreux facteurs peuvent expliquer cette évolution : levée de l’interdiction du travail de nuit des femmes, évolutions socioéconomiques dans une économie mondialisée, utilisation optimale des équipements, externalisation croissante de certaines fonctions.
B- LES EFFETS DU TRAVAIL DE NUIT
Le travail prolongé de nuit présente toutefois des risques pour la santé des salariés et entraîne des perturbations de la vie sociale et familiale.
1. Les effets sur la santé
A court terme, les principaux effets sur la santé du travail de nuit sont les troubles du sommeil, des troubles digestifs et un déséquilibre nutritionnel. A long terme, le travail prolongé et régulier de nuit a des effets néfastes sur la santé. Si certains de ces effets sont désormais bien établis (risques cardiovasculaires accrus, usure prématurée), d’autres, selon plusieurs études, sont probables tels les risques de cancers.
2. L’incidence sur les conditions de travail
Les répercussions du travail de nuit sur les conditions de travail sont plus contrastées. Toutefois, le travail de nuit se cumule souvent avec de nombreuses autres contraintes horaires (travail le dimanche notamment) ou organisationnelles, les salariés de nuit étant davantage exposés à des pénibilités physiques ou soumis à des situations d’isolement. On note aussi des déroulements de carrière et l’accès aux formations moins aisés.
3. Les perturbations de la vie sociale et familiale
L'articulation entre travail et vie personnelle est rendue plus difficile en raison de la discordance entre ces horaires et les moments de disponibilité requis pour partager ses activités hors travail avec la famille et les amis.
II- LES RECOMMANDATIONS DU CESE
La meilleure connaissance que nous avons aujourd’hui des effets du travail de nuit, notamment sur la santé des salariés, devrait inciter les pouvoirs publics à mieux encadrer le recours au travail de nuit.
A- ENCADRER PLUS STRICTEMENT LE RECOURS AU TRAVAIL DE NUIT
1. Clarifier et limiter les cas de recours au travail de nuit
Le Code du travail prévoit simplement que le recours au travail doit être justifié par la nécessité d’assurer des services d’utilité sociale ou bien la « continuité de l’activité économique », notion floue qui laisse place à des interprétations très extensives. Outre une nécessaire clarification du Code du travail, il serait aussi souhaitable que les accords collectifs soient suffisamment précis et déterminent les motivations du recours au travail de nuit, les types d'emplois susceptibles d’être concernés et les dispositifs préservant la santé des travailleurs mis en place dans l’entreprise.
2. Restreindre le travail permanent de nuit
Le recours au travail de nuit permanent (sans alternance avec des horaires de jour) ne devrait être fondé que sur des raisons impératives qui engagent la viabilité économique de l’entreprise. Notre assemblée souhaite que la loi précise les situations ou les secteurs d’activité concernés par ces raisons impératives, notamment en cas d'absence de postes de jour ou de l’impossibilité de recruter un nombre suffisant de personnes acceptant de travailler en alternance de nuit et de jour.
3. Créer un repos compensateur minimal légal
Notre assemblée recommande la création d’un repos compensateur minimal légal afin de donner aux travailleurs nocturnes un temps de repos supplémentaire. Dans le cas des salariés travaillant de façon permanente la nuit, l’objectif cible serait d’instituer un repos compensateur minimal autour de 8 %, objectif qui pourrait être atteint par palier afin de permettre d’adapter en conséquence l’organisation du travail.
4. Inscrire dans la loi le principe du retour sur un poste de jour
Pour cela, il conviendrait, d’abord, d’inscrire dans la loi le principe d’une alternance avec le travail de jour, au-delà d’un certain nombre d’années, lorsqu’il existe des emplois de substitution dans l’entreprise. De même, l’organisation du reclassement sur un poste de jour pourrait être assortie d’un délai de mise en œuvre jusqu'à six mois, reconductible, dans le cas où l'état de santé du travailleur le permet. Faciliter le retour sur un poste de jour implique aussi de proposer un accompagnement spécifique des travailleurs de nuit, s’inscrivant dans un parcours de formation et d’évolution professionnelle.
5. Prendre en compte le travail de nuit occasionnel
Afin de mieux prendre en compte le travail de nuit occasionnel, très présent dans certains secteurs comme ceux de la grande distribution ou de la propreté, notre assemblée recommande d’étudier la possibilité d’un abaissement du seuil minimal légal annuel d’heures de nuit.
B- RENFORCER LA SURVEILLANCE MEDICALE
Le travail de nuit mérite d'être considéré comme une véritable question de santé publique qui aurait vocation à figurer dans le Plan santé au travail 2010-2014.
1. Informer les salariés sur les risques encourus
Les travailleurs de nuit ou postés devraient être plus systématiquement informés de la nature des risques inhérents au travail de nuit ou posté ainsi que les risques particuliers à certaines activités et des tensions physiques ou mentales qui en résultent.
2. Améliorer le suivi médical individuel
Les études montrent que les risques sont accrus pour les salariés de plus de 50 ans continuant à travailler la nuit, en particulier les femmes. C’est pourquoi notre assemblée propose de mettre en place une surveillance médicale spécifique pour ces salariés.
3. Assurer une traçabilité de l’exposition aux risque s
Dans le souci d’une meilleure compréhension des risques sanitaires liés au travail de nuit, il est indispensable d’assurer la traçabilité de l’exposition aux risques pour les travailleurs de nuit. Notre assemblée préconise notamment de généraliser la tenue d’un dossier médical en santé au travail et de prolonger la surveillance médicale après la cessation d’activité.
4. Confier à l’ANSES une étude sur les risques inhérents au travail de nuit
Notre assemblée recommande de confier à cette nouvelle agence le soin de conduire une étude sur les risques sanitaires liés au travail de nuit afin d’améliorer les connaissances scientifiques sur les répercussions du travail de nuit sur la santé et de définir les bons marqueurs ou paramètres de surveillance médicale.
5. Développer la surveillance épidémiologique
La surveillance médicale individuelle devrait s'inscrire dans le cadre plus large d’une surveillance épidémiologique afin d’améliorer les connaissances sur les risques engendrés par le travail en horaires décalés ou de nuit.
C- AMELIORER LES CONDITIONS DE TRAVAIL DES SALARIES DE NUIT
Lorsque le travail de nuit est indispensable, la réflexion doit être permanente pour rechercher les pistes d’amélioration des conditions de travail, voie à privilégier pour en limiter ou en supprimer les conséquences les plus néfastes.
1. Optimiser l’organisation des cycles de travail
La mise en place du travail de nuit devrait être l'occasion de s'interroger sur la meilleure organisation possible des cycles et des horaires de travail. A cet égard, les médecins du travail comme les ergonomes préconisent des cycles de travail courts avec des rotations rapides et organisées dans le sens horaire, c'est-à-dire « vers l’avant ».
2. Ménager des temps de pause et, le cas échéant, de sommeil de courte durée
Il semble également indispensable de ménager des temps de pause réguliers pendant les horaires de nuit afin de prendre en compte les risques de somnolence et d'endormissement à certaines heures. De plus, notre assemblée estime nécessaire de développer des recherches afin d’évaluer l’apport des « siestes nocturnes » sur la vigilance et sur l'état de fatigue.
3. Aménager les postes de travail en fonction de critères ergonomiques
Sur les conseils du médecin du travail et après avis du CHSCT, un aménagement des locaux devrait être plus systématiquement réalisé afin de les adapter aux exigences d’un travail de nuit : luminosité, bruit, température, horaires et composition des repas, mobilier adapté et salle de repos.
4. Faciliter l’accès aux actions de formation
Le plan de formation de l’entreprise doit prendre en compte les besoins spécifiques de formation des salariés de nuit tant dans son contenu que dans les modalités de déroulement de ces formations. Il importe de veiller au développement de compétences transversales ou connexes à d’autres postes de travail ou d’autres métiers du secteur. En outre, les actions de formation devraient être organisées de manière à empiéter le moins possible sur la vie privée afin que la plage diurne consacrée aux activités sociales personnelles ne soit pas réduite.
5. Associer le CHSCT à l’évaluation des risques
Notre assemblée estime indispensable d’associer le CHSCT à l’évaluation des risques auxquels sont exposés les travailleurs de nuit. De même, il doit être systématiquement consulté sur la recherche de solutions sur l’organisation matérielle du travail afin de limiter, voire de supprimer les conséquences néfastes du travail de nuit.
6. Gérer les parcours professionnels
Dans les entreprises où coexistent des horaires de nuit et des horaires de jour, il conviendrait de faciliter la mobilité d’un type d’horaires à l’autre en prenant en compte la santé des salariés, les changements dans leur situation familiale et l’évolution de l’âge. Il est indispensable d’organiser des passerelles entre les horaires de nuit et de jour selon les périodes de la vie professionnelle, notamment en fin de carrière.
7. Prendre en compte la pénibilité du travail de nuit dans le droit à la retraite
Le travail de nuit a partie liée avec le dossier de la pénibilité dans le cadre de la réforme des régimes de retraite. Le CESE tient à réaffirmer le principe général de la nécessaire prise en compte de la pénibilité du travail de nuit dans le droit à la retraite.
D- MIEUX CONCILIER VIE FAMILIALE ET VIE PROFESSIONNELLE
La nécessité d’adopter des mesures permettant de concilier la vie professionnelle avec la vie personnelle et familiale se pose avec encore plus d’acuité pour les travailleurs de nuit.
1. Développer les modes de garde sur horaires décalés
Afin de mieux répondre au problème de garde des enfants pour les parents travaillant en horaires décalés, il serait nécessaire de mettre en œuvre une politique globale visant à améliorer les modes de garde.
2. Tenir compte des coûts des transports la nuit
L’adaptation de l’offre de transports publics aux rythmes de travail des salariés de nuit permettrait de faciliter les déplacements. Cela passe par une action de sensibilisation auprès des collectivités territoriales. Notre assemblée considère également que la prise en compte du temps de trajet dans le temps de travail ainsi qu'une compensation de son coût devraient faire l’objet d’une négociation entre partenaires sociaux.
3. Relancer la négociation sur l’égalité professionnelle
En dépit de progrès significatifs accomplis ces dernières années, force est de constater que dans de nombreux domaines l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes peine à se concrétiser. Notre assemblée estime indispensable d’intensifier le travail important d’information et de sensibilisation auprès des entreprises et des partenaires sociaux afin de faire coïncider égalité de droits et égalité réelle.
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