Juin 25

Comment les chercheurs en économie doivent ils intervenir dans le débat public?

Dans la dernière lettre trimestrielle de l’école d’économie de Paris, Thomas Piketty développe un point de vue intéressant sur l’intervention des économistes dans le débat public. Au delà des chercheurs en économie , son point de vue me parait concerner tous les chercheurs en sciences humaines et sociales : c’est une façon de valoriser les recherches dans ces disciplines, d'en montrer l'utité sociale et de justifier l'intérêt des financements publics !

Voici ce qu’il dit : « Le succès des sites internet « World Top Incomes Database » et « Révolution fiscale », lancés récemment avec Facundo Alvaredo, Tony Atkinson, Camille Landais, Emmanuel Saez et Guillaume Saint-Jacques, montre que les chercheurs peuvent intervenir dans le débat public autrement qu’en écrivant des articles et des livres. Avec près de 400 000 visiteurs en quelques mois, ces deux sites ont permis de toucher un public beaucoup plus large que les outils traditionnels de communication.

Grâce au formidable travail de Facundo Alvaredo, la « World Top Incomes Database » permet de rendre publiques les séries internationales les plus complètes disponibles à ce jour sur l’évolution historique des inégalités. La base de données comprend actuellement 23 pays et synthétise les efforts de plusieurs dizaines de chercheurs. L’ensemble renouvelle profondément les connaissances existantes sur la dynamique des inégalités, et remet radicalement en cause l’hypothèse optimiste de Kuznets sur le lien entre développement économique et répartition des revenus. Plus de 20 nouveaux pays — notamment africains, asiatiques et sud-américains — seront prochainement ajoutés à la base, qui sera constamment mise à jour. Des outils interactifs et une interface graphique efficace permettent à chacun d’accéder aux données et aux courbes dans le format souhaité.

L’interactivité est également au centre du site « Révolution fiscale », qui doit beaucoup aux talents exceptionnels de programmateur de Guillaume Saint-Jacques. Le site permet à chacun de simuler la réforme fiscale de son choix. L’utilisateur peut notamment modifier les tranches et les taux des barèmes d’imposition. Les serveurs font alors tourner des dizaines de pages de programmes sur des bases de données contenant plus de 800 000 observations individuelles et plusieurs centaines de variables. Quelques secondes plus tard, l’internaute connaît l’impact de la réforme sur l’équilibre budgétaire, la répartition de la charge fiscale par centile de revenu, etc. Une telle prouesse technique est à notre connaissance une première mondiale, et n’aurait pas été possible sans les énormes progrès de la puissance de calcul des serveurs intervenus ces dernières années.

Mais pas d’illusion technologique! La durée moyenne passée sur ces deux sites internet dépasse à peine 5 minutes… Les nouvelles technologies permettent de toucher un plus large public, et constituent un outil indispensable permettant d’atteindre un degré de transparence démocratique inconnu jusqu’ici. Mais l’attention accordée à un site internet sera toujours limitée et superficielle par comparaison à ce que peut apporter la lecture d’un article ou d’un livre.

Pour la « Révolution fiscale », il semblerait que le succès du site n’ait pas découragé les lecteurs du petit livre d’intervention publique — tout juste 130 pages — qui allait avec (50 000 exemplaires vendus). La « World Top Income Database » s’accompagnait quant à elle de deux épais volumes de 800 pages chacun publiés par Oxford University Press, indispensables pour comprendre et interpréter les données pays par pays… mais qui ne dépasseront sans doute pas les 5 000 exemplaires habituels pour ce type de prose.

Tous ces outils de communication — sites internet, petits livres de vulgarisation, articles scientifiques et livres savants — ont leur utilité sociale, leur légitimité et leur public. Les chercheurs en sciences sociales, et notamment les économistes, doivent apprendre à utiliser de façon cohérente tous les outils de communication, tout en veillant à ce que les supports les plus faciles d’accès ne chassent pas les plus exigeants. Un défi pour l’avenir! »

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