Emprunt d’Etat : faut-il solliciter l’épargne des français pour financer l’avenir ?

Dans une note de Terra Nova, Thomas Chalumeau, essaie de voir Comment juger  l’initiative du Président de la République en faveur d’un grand emprunt national auprès des Français ?

A première vue, il y a un paradoxe à annoncer le lancement d’un tel emprunt, alors même que jamais l’Etat ne s’est autant endetté sur les marchés financiers. Chaque année, la France emprunte quelque 250 milliards d’euro sur les marchés. Au cours du seul premier trimestre de l’année 2009, la dette publique française a augmenté de 1 milliard d’euros par jour, de plus de 86,5 milliards au total, pour atteindre 1.413 milliards d’euros. Ce qui représente 72,9 % du PIB ou encore 22. 000 euros par Français. Selon les dernières estimations du Ministère des Finances, la dette publique atteindra 77 % du PIB en 2009 et 88% en 2012.


Sur le plan strictement financier, l’initiative se heurte à un paradoxe. Soit il s’agit d’un véritable emprunt national, aux conditions de rémunération exorbitantes du droit commun. Alors l’emprunt sera plus cher que l’émission de nouvelles lignes d’obligations d’Etat sur les marchés (OAT). Il grèvera donc inutilement les finances publiques. Et ce serait un bond en arrière spectaculaire : les derniers emprunts « exorbitants » remontent à Pinay et Giscard… En outre, rien ne serait pire que cet emprunt ne serve qu’à vouloir dépenser plus au détriment des générations futures qui devront le rembourser, alors même que l’Etat est déjà lesté par le poids de sa propre dette.

Soit, ce qui est probable, il s’agit d’un emprunt « banalisé », c’est-à-dire une OAT accessible aux particuliers, et il s’agit alors d’un simple coup de communication politique du Président. Depuis le succès de « l’emprunt Balladur » en 1993, les OAT sont déjà directement accessibles par les particuliers auprès de leur agence bancaire. Nicolas Sarkozy proposerait ce qui existe déjà – de l’art du recylage…

Malgré tout, l’idée du Président de la République ne doit pas être écartée a priori. Ses avantages potentiels sont doubles :
– financer un Acte II du plan de relance : le Président reconnaitrait ainsi implicitement l’insuffisance de son plan initial, que Terra Nova a déjà soulignée ;
– éponger une partie de l’épargne de précaution des ménages, dont l’augmentation contribue à asphyxier la croissance, et la mobiliser vers la relance de l’économie. L’utilité de « l’emprunt Sarkozy» dépendra donc de ces conditions de mise en oeuvre. Le diable, c’est bien connu, est dans les détails.

2 1 – SOLLICITER L’EPARGNE NATIONALE POUR RELANCER LA CROISSANCE ET FINANCER L’AVENIR

1.1 – REORIENTER UNE PARTIE DE L’EPARGNE DE PRECAUTION VERS LA RELANCE DE L’ECONOMIE

Dans la présente conjoncture, une forte relance de l’investissement public est indispensable pour suppléer la faiblesse des investissements du secteur privé. A ce titre, mobiliser l’épargne de précaution vers la relance de l’économie par le biais du lancement d’un emprunt exceptionnel auprès des ménages peut faire sens. Les quantités d’épargne disponible à l’échelle nationale sont aujourd’hui très élevées : près de 3.000 milliards d’euros dont 1.100 milliards placés en d’assurance-vie (souvent en obligations et produits de taux) et 470 milliards sur les Livret A. Le taux d’épargne, proche de 15% en France l’an dernier, est remonté autour de 16% depuis le début de l’année et atteindra 17% à la fin 2009. L’emprunt permettra de réorienter tout ou partie de cette épargne vers la relance de l’économie, tout en lui offrant une rémunération supérieure aux conditions actuelles de rémunération des principaux livrets d’épargne sans risque. Le gouvernement n’a pas encore précisé quelle part de l’emprunt sera réservée aux épargnants par rapport aux institutionnels et aux marchés financiers. Sans nul doute, il s’agira d’un arbitrage important.

1.2 – FINANCER UN « ACTE II » DU PLAN DE RELANCE

Sur le plan économique, nul ne conteste qu’il est aujourd’hui très important aujourd’hui de relancer l’investissement public pour pallier les insuffisances de l’investissement privé. Or, seul l’Etat peut le faire en bénéficiant de bonnes conditions financières. Le manque d’ambition du plan de relance présenté aux Français le 15 décembre dernier a été suffisamment souligné (notamment par Terra Nova) pour ne pas voir aujourd’hui dans l’annonce de ce nouvel emprunt, malgré la prudence affichée dans la communication gouvernementale sur ce point, celle d’un acte II de ce plan de relance. Revenons aux chiffres de l’effort de relance actuel de notre pays. – Environ 29 milliards d’euros annoncés (26 milliards annoncés le 15 décembre, abondés de 2.5 milliards de mesures « sociales » supplémentaires en mars), soit un effort d’environ 0.8% du PIB en France contre quasiment double en Allemagne (1.4% du PIB) et un effort supérieur à 1% pour le Royaume Uni.

Une grande partie de ce plan de relance est constituée d’avances de trésorerie aux entreprises (11 milliards d’euros sur les 26 milliards annoncés) – dont une partie en anticipation des remboursements prévus pour 2010 – et non de crédits réellement frais à l’économie. Au total et compte tenu des délais de mise en oeuvre de ce plan, moins de 10 milliards d’euros de crédits frais pourraient être au total réellement distribués à l’économie en 2009 : c’est 5 fois moins que le nouveau plan de relance prévu par l’Allemagne dans les 2 ans qui viennent, 2 fois moins que les 20 milliards d’euros de Gordon Brown au Royaume-Uni, ou des 19 milliards annoncés par l’Espagne. La dégradation des finances publiques, il est vrai, a réduit considérablement les moyens de riposte de notre pays lors de son entrée dans la crise. Si cet emprunt peut avoir une utilité, c’est bien de « réarmer » l’effort de relance et de le rapprocher des recommandations du FMI et de la Commission européenne, laquelle recommande une relance de l’ordre de 1,3% du PIB Européen. Atteindre cet objectif en France imposerait de porter notre effort de relance en termes de crédits réellement nouveaux à l’économie à environ 30 milliards d’euros. Tel doit être le premier objectif de cet emprunt. L’emprunt constitue à ce titre un signal fort sur le plan politique de l’engagement de l’Etat à accompagner dans la durée les nécessaires transformations structurelles de l’économie française.

2 – LES CONDITIONS DE LA REUSSITE DE CET EMPRUNT : REMUNERATION SOUTENABLE POUR LES FINANCES PUBLIQUES, ALLOCATION VERS DE VRAIES « DEPENSES D’AVENIR »

2.1 – UNE REMUNERATION SOUTENABLE POUR LES FINANCES DE L’ETAT

Compte tenu de l’état des finances publiques, le coût de l’emprunt pour l’Etat devra être calibré avec précaution au regard de trois critères : la rentabilité pour l’économie des investissements qui seront financés par ce dernier ; et le maintien d’un niveau de rémunération en ligne des conditions d’endettement de l’Etat auprès des marchés (emprunt « banalisé » et en aucun cas un retour aux emprunts exorbitants du droit commun comme les emprunts Pinay ou Giscard, d’un archaisme révolu, et qui ont coûté très cher aux finances publiques nationales). De nombreux investissements peuvent aujourd’hui rapporter plus à l’Etat et à l’économie que le coût de l’emprunt. Les chantiers ne manquent pas : éducation, recherche, infrastructures, nouvelles technologies….D’où l’importance d’un choix très précis des dépenses financées. D’autant que sur le plan social, seuls les Français les plus aisés pourront y souscrire et bénéficier de la rémunération et des avantages fiscaux qui lui sont lié.

2.2 – « PREPARER L’APRES-CRISE » : LE DIFFICILE CHOIX DES « DEPENSES D’AVENIR » A FINANCER

 Le grand emprunt, s’il doit servir à quelque chose, doit préparer l’après-crise. L'emprunt doit à ce titre donc servir à moderniser l'économie, à créer les emplois de demain et à former les salariés. Le choix des investissements financés sera scruté à la loupe. A l’évidence, l'État n'est pas forcément plus clairvoyant que le secteur privé lorsqu'il s'agit d'investir sur le long terme… Quelques priorités possibles d’allocation peuvent toutefois être citées :

– Accélérer la mutation de l’économie française vers un nouveau modèle de croissance en favorisant par exemple les financements pour le développement des énergies renouvelables et des industries propres, ce qui passe aussi par des moyens accrus dans la recherche ;

– Abonder les pôles de compétitivité – dont le besoin de crédits publics supplémentaire est estimé à plus de 1 milliard d’euros d’ici 2011 selon les observateurs, au-delà des quelques 1,5 milliards d’euros qui leur ont été à ce stade attribués pour la période 2009-2011 ;

– Financer de nouveaux projets dans le domaine de l’innovation industrielle, la recherche, l’enseignement supérieur et la création d’entreprise. La concertation avec les partenaires sociaux sur ce choix des priorités s’impose à l’évidence.

2.3 – LES SOMMES LEVEES PAR LE GRAND EMPRUNT DOIVENT-ELLES FINANCER DES MESURES SOCIALES?

Le relatif déséquilibre du plan de relance de la France au détriment des mesures sociales a été souligné. Moins de 4 milliards d’euros, – moins d’ 1 milliard d’euros sur les 26 milliards d’euros annoncés en décembre + 2,5 milliards annoncés en mars – y sont pour l’instant consacrés, soit à peine 10% du total du plan, à contre-courant des plans, beaucoup plus équilibrés, prévus par nos partenaires européens (Royaume-Uni avec la baisse de deux points de la TVA, Allemagne, Espagne,…) et des recommandations de l’OCDE suggérant aux Etats de privilégier les transferts aux ménages les plus pauvres, ayant la plus forte propension à consommer leur revenu et un moindre accès au crédit.

De nombreuses dépenses sociales « préparent l'avenir » à l’évidence : certaines comme la formation professionnelle ont déjà leurs sources de financement propres. D’autres pourraient être abondées dans le cadre d’investissements nouveaux : logement social, mesures en faveur de l’accompagnement des salaries licencies et de la ré-industrialisation du territoire, écoles de la deuxième chance, lutte contre l’exclusion, maintien du salaire pendant un an des salariés ayant subi un licenciement économique,… de nombreuses pistes sont mises au débat depuis quelques jours.  Le risque dans ce domaine est connu. C’est celui du saupoudrage. Une concentration sur une dizaine d'objectifs – dans le cadre de la négociation annoncée avec les partenaires sociaux – ferait sens.

Au total, il faut attendre le détail de l’initiative pour pouvoir évaluer sa pertinence. Nous pourrons alors juger sur pièces. Une question demeure. L’endettement public en France n est il pas en train d' atteindre un étiage ? La question est posée au regard de la très forte progression des ratios de dette sur PIB depuis quelques mois. Une certitude : Le débat sur le remboursement de la dette publique en France ne fait que commencer.

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