EUROSCEPTICISME ou EUROPHOBIE : protester ou sortir ? Que veulent ils ?

b56038eeea10b1b4fe26cd6a81088d7a-1413538880Dans une note pour Notre Europe,  Yves Bertoncini  et Nicole Koenig appellent à faire une distinction plus nette entre un euroscepticisme plus modéré et l’europhobie.

Au lendemain des élections européennes de mai 2014, des journalistes et des analystes politiques ont évoqué un « séisme eurosceptique » qui secoue le continent. De fait, le mécontentement populaire ne s’est jamais exprimé avec autant de force dans des élections euro­péennes.Les évolutions électorales récentes en Grèce ou en Espagne relancent cette question avec force.

L’année 2014 a indubitablement rappelé la fin du « consensus permissif » sur l’intégration européenne. La « ques­tion européenne » est désormais un sujet de contestation politique pour les différents partis, notamment pour les partis extrémistes. Le ralentissement économique, conséquence de la crise économique et financière de 2007, a sapé l’un des fondements principaux du soutien populaire au projet européen : la promesse de l’UE comme moteur de prospérité économique.

 Les crises ont mis la question européenne au cœur des débats publics ; selon le parti ou le pays considéré, des critiques fusent à propos de l’absence de solidarité ou de l’excès d’austérité.

 Ces nouvelles réalités politiques   amènent à réexaminer de plus près les différentes résistances qui existent à l’égard du projet européen, au-delà de la notion traditionnelle mais simpliste d’ « euroscepticisme ». Galvaudé, le terme recouvre de nombreuses réalités, ce qui exagère l’influence réelle des partis euroscep­tiques. Bien que certains analystes parlent d’un « camp » idéologiquement uni, un examen plus minutieux donne plutôt l’impression d’une grande nébuleuse.

Les eurosceptiques et les europhobes usent souvent d’arguments similaires. Les critiques émises sont princi­palement circonscrites aux enjeux liés à la démocratie, la souveraineté, le libéralisme,l’ identité … La principale différence réside dans les conclusions qu’ils tirent de telles critiques. Alors que les euros­ceptiques protestent et appellent au changement, les europhobes rejettent l’appartenance européenne et pré­conisent une sortie de l’UE ou de certaines de ses politiques.

Des frontières floues entre l’euroscepticisme et l’europho­bie tendent à exagérer la «menace» que représentent les eurosceptiques pour le processus d’intégration. La question qui se pose est donc : à quels domaines politiques ou aspects institutionnels un parti doit-il s’opposer pour être considéré comme europhobe ?

Pour bien différencier les eurosceptiques des europhobes, il est proposé par les auteurs de cette note, d’utiliser la distinction établie par Albert Hirschman dans son ouvrage précurseur sur la réaction de membres face à un système économique et politique donné, qui se partagent entre la défection (exit), la protestation (voice) et la loyauté (loyalty).

Les eurosceptiques et  les « europhobes » occupent 207 sièges au Parlement européen, soit envi­ron 28% du total

Selon la classification des auteurs de cette note, le Parlement européen (PE) est actuellement composé de 30 partis euroscep­tiques issus de 18 États membres et qui occupent 125 sièges, soit 16,6% du total.

 Avec 16 partis issus de 13 États membres, totalisant 82 sièges au sein du PE, soit 10,9% du total, les europhobes forment un ensemble beaucoup plus réduit.

 Les eurosceptiques constituent, au sein du Parlement européen, une force poli­tique plus importante mais aussi plus variée sur le plan idéologique, ce qui l’empêche d’apparaître comme une famille unie. L’analyse de leurs programmes politiques permet de distinguer les quatre principales racines de l’euroscepticisme, mais il faut garder à l’es­prit que des partis de tendances politiques différentes peuvent adopter des positions ou des programmes qui recoupent ces divers facteurs.

La première racine porte sur la question de la démocratie ; elle a une connota­tion normative dans la mesure où elle pose la question de la légitimité démocra­tique et politique de l’UE. Bien souvent, les critiques portent sur le déficit démo­cratique de l’UE, à qui il est reproché en outre un manque de transparence dans le processus de prise de décision et une bureaucratie jugée élitiste, trop nombreuse, opaque, technocrate, lourde et coûteuse. Parmi les solutions proposées sont souvent avancés une démocratie plus directe ou encore un allègement conséquent de la bureaucratie. Cette racine centrée sur la démocratie se prête particulièrement aux idées et aux discours populistes.

La deuxième racine porte sur la souveraineté nationale. Intimement liée à la première, elle se concentre davan­tage sur le transfert de pouvoir entre les États membres et l’UE, considéré comme une perte de souveraineté plutôt que comme un mécanisme de « mutualisation et de partage ». Cette dimension de l’euroscepticisme est alimentée par les coûts de mise en conformité engendrés par l’application des lois et réglementations euro­péennes, sous le contrôle de la Commission et de la Cour de justice de l’UE. Elle est souvent couplée avec un engagement en faveur d’une restitution partielle ou totale des compétences et des pouvoirs au niveau natio­nal. Cet argument a pris du poids lors de la crise de la dette souveraine et suite à la création de la Troïka, qui a incarné une relation « de type FMI » entre Bruxelles et les pays sous-programme, basée sur le principe de conditionnalité. La réforme de la gouvernance de l’Union économique et monétaire (UEM) a donné par ailleurs un nouvel élan à cette dimension eurosceptique.

La troisième racine concerne essentiellement l’économie et a une approche « utilitaire ». Elle se définit autour des notions de libéralisme, d’austérité et de solidarité. Depuis l’entrée en vigueur de l’Acte unique européen dans les années 80, qui défendait non seulement la libéralisation mais encourageait dans le même temps la solidarité, matérialisée notamment par la mise en place de fonds structurels, cette dimension de l’euroscep­ticisme a été appuyée par les critiques à l’encontre de la « libéralisation du marché intérieur » prônée par Bruxelles. Elle a beaucoup contribué à la montée en puissance et à la diversification de la grande nébuleuse eurosceptique depuis 2008 et au cours de la crise de la dette souveraine et de celle de la zone euro. D’une part, de nouvelles voix (en particulier à droite) se sont élevées contre les transferts financiers accordés aux pays terrassés par la crise. D’autre part, la gauche radicale estime que l’UE et l’euro ont amplifié le phénomène de mondialisation, exposant les États membres et les citoyens européens à des politiques « néolibérales » géné­ratrices d’inégalités et à l’origine de baisses des salaires. L’UE est également tenue pour responsable de la course effrénée à l’austérité qui provoque à la fois un chômage de masse et une dégradation des systèmes de protection sociale. Bien que les gouvernements nationaux soient également mis en cause, l’UE et les États membres sont critiqués pour leur manque de solidarité.

La quatrième racine de l’euroscepticisme revêt une dimension plus émotionnelle et a trait à l’identité nationale. Alors qu’elle repose sur le principe de la libre circulation des personnes, l’UE est accusée d’être à l’origine de la hausse de l’immigration, intra- mais aussi extra-communautaire. De telles critiques témoignent de la peur d’une érosion de l’identité nationale, qui serait menacée par certains groupes ethniques (comme les Roms) ou certaines religions (comme l’islam). Il existe aussi une autre forme de critique, aux accents plus utilitaires que xénophobes, définie comme du « populisme de protection sociale» : on l’observe dans les pays d’Europe du Nord les plus prospères, où certains craignent l’abus et le phagocytage des systèmes de protection sociale par les étrangers.

Les deux premières racines évoquées ci-dessus témoignent des critiques des eurosceptiques qui dénoncent l’UE en tant que système politique, alors que les deux dernières témoignent plutôt de leur rejet de l’UE en tant qu’espace de libre circulation. Ces deux types de critiques s’élèvent systématiquement autour des questions de démocratie, de souveraineté, de libéralisme ou d’identité. L’UEM est au croisement de ces deux types de griefs dans la mesure où elle semble exposée à tous les types de critiques généralement émises par les euros­ceptiques à son encontre.

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