Des fusions de régions coûteuses pour l’action publique

L-Assemblee-donne-son-feu-vert-a-la-France-a-13-regionsVous trouverez ci après la tribune libre parue ce jour dans Paris Normandie.

“Les fusions de régions sont  faites de par la loi, et entreront en vigueur au 1er janvier 2016 . L’essentiel  est maintenant d’en appréhender les difficultés pour essayer de les surmonter même si elles restent à intégrer dans une réforme territoriale non achevée. L’essentiel est de construire une politique régionale qui ne soit pas la somme des deux politiques, Haute et Basse Normande.

Il  est sans doute difficile d’abord de  comprendre le sens de ces fusions : s’agit-il de faire des économies ? de positionner les territoires dans la compétition mondiale ? de renforcer la démocratie ? de simplifier l’organisation ?Pourquoi 13 régions ? Sur quels critères les redéfinit on ?: identité historique ? cohérence géographique/bassin de vie taille démographique ? contenu de l’action publique ?Les exemples montrent qu’on a mélangé tous les critères : Bretagne, Alsace… faisant ainsi perdre le sens de la recomposition. La Normandie peut cacher certains aspects des difficultés de ce processus de fusion, par la cohérence du nom, et de l’identité historique.

 On peut regretter des décisions prises au plus haut niveau, sans débat démocratique, mais surtout sans aucune évaluation préalable des couts.Je voudrais évoquer ici les couts de ce processus de fusion car dans le contexte de finances publiques, mieux vaut chercher à les maitriser que de les subir.Le Ministre en charge de la réforme, André Vallini, tient à cet égard des discours très « évolutifs » : avant le vote de la loi , il estimait , sans plus de précision, à plus de 10 milliards les économies possibles ; aujourd’hui  il cherche à rassurer les personnels en promettant « aucune suppression d’emploi, le maintien des contractuels » !

Le processus de fusion est un processus coûteux en lui-même : la gestion des personnels ne peut qu’être alignée par le haut, car on ne voit pas baisser des régimes indemnitaires de certains personnels d’un territoire pour augmenter celui des personnels d’un autre territoire ! Des gains sont sans doute possibles   : au lieu de deux directeurs, on peut mettre un directeur mais si on garde deux sites, il faut un directeur et un adjoint !

Il va y avoir une forte demande d’alignement des politiques publiques: « pourquoi sur tel territoire je ne pourrai bénéficier d’une aide, d’un dispositif qui existe sur l’autre » ! La nouvelle assemblée ne pourra pas voter des tarifs, des montants d’aide, pour les dispositifs publics, différents sur des territoires d’une même région !

A ces ajustements spontanés n’oublions pas la taille des  salles de réunion pour les nouvelles assemblées, les frais de déplacement car la rencontre des élus avec les habitants ne pourra se faire par visio conférence comme de beaux esprits l’imaginent parfois…La relation sociale doit rester ! Ceci est peut être anecdotique, mais  réel  et surtout à charge symbolique.

La grande taille d’une organisation n’est pas synonyme systématique de réalisation d’économies. Il existe une sorte de pensée unique sur la taille des institutions (universités, hôpitaux,… collectivités locales ). Les 10 premières universités au monde pour le classement de Shanghai sont de petites universités. On confond   la taille et le contenu de l’activité.

 Les grandes structures, ce sont des coûts cachés, des coûts d’organisation ; c’est un contrôle plus difficile des dépenses, une lenteur des processus de décision qui ne favorise pas la motivation, une innovation moins  spontanée…N’oublions pas les travaux de Galbraith sur la technostructure !

La productivité dans les services augmente lentement et encore plus dans les services publics : l’expérience des 35h dans le privé et les hôpitaux ne devrait pas être oubliée. En ce domaine, on confond la carte institutionnelle avec les exigences nécessaires de la gestion des fonds publics : en d’autres termes, les fusions ne seront pas des sources de réduction des dépenses publiques, au contraire, sauf à réduire services ou politiques, ce qui est un autre sujet. On a un peu oublié la désastreuse gestion des lycées par l’Etat avant 1982, je souhaite qu’on ne recommence pas avec des régions « mammouth ».

 Il faut le reconnaître le processus de fusion est un processus déstabilisateur de l’action publique. Qui pilote la fusion ? Pour les Entreprises , la fusion est toujours absorption d’un « petit » par un « gros », sur la base d’un projet. Quand l’Etat   créé Pôle Emploi (il a fallu 5 ans), il y a au moins un pilote : le Ministre qui peut arbitrer ! Lorsque des communes fusionnent, elles le font sur une base volontaire, partagée.

On est là, pour les régions, dans une démarche imposée, sans pilote pour la guider, même si les exécutifs actuels peuvent, bien sûr, préparer l’harmonisation technique : logiciels de paie, de gestion des courriers, de systèmes d’information, de gestion des finances : ces  adaptations représentent plusieurs millions d’euros. L’organisation est difficile en l’absence de localisation des services.

La Gestion de la  transition est aussi difficile pour les structures type associations: les Budgets seront votés en mai 2016. Mais en attendant pendant 5 mois …La gestion des fonds européens reste bicéphale par les Programmes Opérationnels , mais avec une autorité de gestion unique qui gère les contreparties ( compenseront elles les différences de PO ?)

Le processus de fusion est  aussi créateur d’incertitudes car il retarde des décisions alors que toute l’attention devrait être portée à la relance de l’activité . Mais il est aussi difficile de programmer des réductions de dépenses en l’absence de lisibilité des périmètres et des compétences.

L’action publique  régionale se structure dans la durée , à travers l’Elaboration des schémas SRDE, SCOT, CPRDF,.. qui en fixent le cadre mais qui demandent du temps à être élaborés. La construction des filières, des réseaux de recherche (GRR), des pôles….demandent du temps. Les cartes de formation se construisent dans la durée. Les régions sont jeunes , et on en voit la lente construction depuis  1986 !  on ne construit pas du jour au lendemain une politique de soutien à la recherche, ou à la création d’entreprise, par exemple. La fusion n’est pas l’addition de 2 projets, c’est la reconstruction d’un projet global , et pas seulement sur la base d’un équilibre entre territoires ! Pendant ce temps ,les régions qui ne fusionnent pas, continuent à avancer !

Le processus de fusion ne répond pas au besoin de simplification, même s’Il est bien que l’on revienne à la suppression de la compétence générale qui conduit à ce que toutes les collectivités s’occupent de tout. Mais le 1000 feuilles ce n’est pas simplement le nombre des collectivités territoriales. C’est aussi l’organisation des services déconcentrés de l’Etat et la multiplication des opérateurs externes: agence de l’eau, Ademe, CAF, bailleurs sociaux…Il faut aussi cesser cette situation où l’Etat décide, et ce sont les collectivités qui font, comme c’est le cas avec les Départements qui ne maîtrisent pas leurs dépenses APA, RSA, AAH, ou  des normes qui s’imposent aux communes: quelle que soient les fusions, réorganisations territoriales, cette question demeure ! On ne peut pas avancer dans le processus de décentralisation sans avancer sur la réforme de l’Etat

La question de la place des  Départements reste une question non résolue, et avec de très grandes régions,  l’échelon départemental est conforté ; il y a fort à parier que le mode d’élection des grandes régions sera revu, pour plus de proximité (l’exemple des grandes régions électorales européennes y pousse ) : on risque le retour du conseiller territorial accélérant malheureusement la « cantonalisation » de l’action régionale au détriment d’une action stratégique et structurante ! A-t-on mesurer le « cout pour les « anciennes » capitales de ces fusions ? a-t-on pris en compte l’Attente sociale sur la proximité, les circuits courts ? Les grandes régions seront des colosses aux pieds d’argile sans autonomie fiscale.

Il faut faire plus  confiance à l’intelligence collective locale pour adapter les cartes territoriales en fonction des échelles (montagne, littoral, Paris…) et des processus de l’action humaine (agricole, industrielle, tourisme…).  On ne fait pas une telle réforme contre les élus locaux , car elle doit être portée dans la durée , avec une vision partagée, si on ne veut pas qu’elle soit mise à mal à l’alternance suivante.

Pour ma part à la logique de la fusion j’oppose la logique du réseau : Ne faisons pas de grosses structures, et sortons du « big is beautiful ». Laissons une taille humaine aux institutions qui ne doivent pas tout faire , et être plus spécialisées ! Le problème n’est pas la taille mais la capacité à travailler en réseau qui seule, permet une approche contractuelle, transversale, et non descendante ou hiérarchique. Les limites territoriales ne sont jamais satisfaisantes pour tout : leurs pertinences sont fonction de l’action publique en cause. Les niveaux territoriaux peuvent être multiples si chacun est bien identifié dans ses missions.

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1 Commentaire

    • CLERIS Philippe sur juin 25, 2015 à 10:00 pm
    • Répondre

    Monsieur Gambier a peut-être besoin que l’on lui rafraichisse la mémoire…

    En 2008 un rapport commandé par les deux exécutifs régionaux normands à deux cabinets d’audit internationaux INEUM et EDATER avait validé le rapport coûts avantages de la fusion normande: les experts concluaient à un bilan tellement positif d’une fusion normande que le rapport qui devait techniquement enterrer la réunification normande a été enterré par Alain Le Vern…

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