Au lendemain du Brexit adopté par 52% des Britanniques, comment réagissent les Européens à cette sortie programmée du Royaume-Uni de l’Union européenne ? Comment envisagent-ils, désormais, l’avenir de la construction européenne ? La Fondation Jean-Jaurès et La Fondation européenne d’études progressistes (FEPS) ont chargé l’Ifop de mener une vaste enquête d’opinion, dans six pays européens – France, Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Pologne.
Les opinions publiques européennes apparaissent très contrastées. Jérôme Fourquet explique cette situation par l’incertitude liée au Brexit. Il observe que dans les pays où le sentiment européen est fort et l’économie stable, l’incompréhension domine (par exemple en Allemagne). Inversement, dans les pays plus eurosceptiques et où l’économie est plus fragile, le sentiment de compréhension est dominant quoique minoritaire, par exemple en France. Ailleurs, c’est l’inquiétude qui prévaut.
En outre, les opinions publiques semblent, dans leur ensemble, moins catastrophées que les marchés financiers et la sphère politico-médiatique, la Pologne faisant exception avec 54% des Polonais qui considèrent le Brexit comme très grave . Ce phénomène s’explique par le statut particulier du Royaume-Uni au sein de l’UE (non-appartenance à la zone euro et à l’espace Schengen). Néanmoins les opinions publiques sont en proie au doute en ce qui concerne les conséquences du Brexit sur les économies nationales. Alors que certains pensent que cette situation peut bénéficier aux économies continentales, d’autres spéculent que l’impact de ce divorce sera négatif. Encore une fois, il y a une différence entre les territoires où l’économie est solide, dans lesquels les sondés sont confiants quant aux conséquences du Brexit, et les régions où l’économie est plus fragile dans lesquelles, à l’opposé, les sondés sont inquiets.
Concernant les conséquences que pourrait avoir le Brexit sur l’économie britannique, dans leur grande majorité les Européens pensent que cette décision risque d’affaiblir le Royaume-Uni. Pour Jérôme Fourquet, « les souverainistes ont [donc] pour l’instant perdu la bataille de l’opinion » car les difficultés perçues comme à venir pour l’économie britannique incitent les peuples européens à demeurer dans l’UE. D’ailleurs, l’un des principaux effets de la victoire du « Leave » britannique actuellement observable est une revalorisation des bienfaits de l’appartenance à l’UE. Ainsi, 81% des Allemands et 67% des Français, par exemple, jugent positivement leur appartenance à l’Union contre respectivement 62% et 57% deux ans auparavant. Ce rebond de grande ampleur sur les bienfaits de l’Europe touche l’ensemble des partis politiques des deux pays (y comprlibérales et les cadres supérieurs sont 82% à indiquer qu’ils voteraient pour rester dans l’UE en cas de référendum. Ce chiffre tombe à moins de 50% chez les ouvriers et les employés. Nous retrouvons cette fracture sociale d’ailleurs dans les résultats au référendum britannique. Les CSP+ ont voté très en faveur du « Remain » à l’opposé des CSP- dont les suffrages se sont portés dans leur majorité dans le camp du « Leave ». Nous pouvons supposer une situation analogue dans le reste des pays européens. Parallèlement à ce refus majoritaire que des référendums soient organisés, Jérôme Fourquet indique que le souhait d’abandonner l’euro, en net recul, est lui aussi minoritaire dans l’ensemble des pays sondés (43% en Italie, 33% en Allemagne ou encore 29% en France).
Dans ce contexte, les opinions publiques paraissent peu enclines à faire des concessions aux Britanniques. Une majorité d’Allemands, de Français et d’Espagnols attendent de l’intransigeance face aux revendications du Royaume-Uni (en Italie et en Belgique, il s’agit d’une majorité relative). Seule l’opinion publique polonaise semble plus encline à se montrer conciliante avec les Britanniques (73% souhaitent que l’UE soit « assez » ou « très » conciliante). On observe par ailleurs que les opinions sur le sujet varient en fonction des classes d’âge. Les jeunes, moins enthousiastes vis-à-vis de l’UE que leurs aînés, font preuve de moins d’intransigeance que ces derniers. De la même façon, c’est dans les familles politiques historiquement les plus européennes que l’attente de fermeté s’exprime avec le plus d’intensité (plus de 70% des sympathisants de l’UDI et du Modem sont sur cette ligne).
Sur la question d’une relance de l’intégration autour des pays fondateurs, l’idée semble faire consensus. Huit Français sur dix y sont favorables. La proportion est identique en Allemagne, en Belgique et en Italie. Des pays comme la Pologne (70%) et l’Espagne (68%), arrivés plus récemment, ne sont pas en reste et attendent également une impulsion nouvelle de la part des membres fondateurs. De nouveau, plus les sondés sont âgés et plus ils sont favorables à cette idée. Mais si la volonté de relancer l’intégration autour des pays fondateurs semble partagée par tous, cette nouvelle étape risque d’être compliquée à négocier. Aucun acteur ne semble disposer d’une légitimité suffisante pour fédérer tous les points de vue. De fait, si les présidents des institutions européennes (Juncker, Tusk et Schulz) bénéficient d’un capital de confiance majoritaire dans les pays du nord de l’Europe la situation est très différente dans les pays du sud (57% des Allemands leur font confiance, contre moins de 40% des Espagnols).
Enfin, le Brexit pourrait marquer un coup d’arrêt au processus d’élargissement : 8 Français sur dix sont favorables à une relance de l’intégration autour des pays fondateursAlors que 32% des Français, 37% des Allemands, 67% des Italiens et 78% des Espagnols étaient favorables à l’adhésion de la Turquie à l’UE en 2004, ils ne sont plus respectivement que 13, 12, 46 et 34%. Parallèlement à ce recul, les opinions publiques européennes refusent assez largement l’entrée de pays plus récemment candidats (par exemple seuls moins de 30% des Français, des Belges et des Allemands souhaitent l’intégration de l’Ukraine). Le cas des pays des Balkans est plus complexe. Les opinions publiques, dans les pays fondateurs, se montrent très défavorables à leur adhésion alors qu’en Pologne et en Espagne les opinions publiques y semblent bien mieux disposées. Un nouveau processus d’élargissement qui se ferait à l’encontre des opinions publiques (par exemple avec le cas turc) risquerait de fragiliser la confiance des citoyens dans l’UE et ses institutions
Retrouvez l’enquête dans la presse européenne :
Le Brexit provoque un regain du sentiment européen (Le Monde, 15 juillet)
Sympathien für Europa wachsen dank Brexit (Süddeutsche Zeitung, 15 juillet)
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