Eloge du compromis

weberHenri Weber théorise le quinquennat dans un ouvrage paru chez Plon « Eloge du compromis. Un livre fort utile pour juger Hollande, en bien ou en mal.

La gauche doit faire face à de nouveaux enjeux. Les idées de Jean Jaurès ne suffisent plus. La gauche est confrontée à un nouveau tournant de son histoire. Sans réalisme, la gauche ne survivra pas.La crise que connaît la gauche européenne n’est ni une crise d’agonie, ni une crise de croissance, mais une crise de refondation, la troisième de sa longue et tumultueuse histoire. A l’âge utopique et révolutionnaire du socialisme des origines (1860-1914) a succédé un âge réformiste et parlementaire (1920-1950) puis un âge keynésien et gouvernemental (1950-2000).

Aujourd’hui, des évolutions majeures – la mondialisation et la financiarisation du capitalisme, la troisième révolution industrielle, l’urgence écologique, le retour de la guerre en Europe, l’avènement de la démocratie médiatique et numérique – contraignent la gauche réformiste à une nouvelle mutation. Plusieurs partis socialistes s’y sont attelés, à la fin du siècle dernier. Mais les « nouvelles voies » qu’ils ont mises en oeuvre étaient étroitement nationales, alors que les défis de notre nouveau monde appellent des réponses internationales, ou au moins européennes.

Après de premiers succès, ces stratégies du chacun pour soi ont débouché sur l’échec de tous. Le PS français n’a pas fait exception : sous la mandature de Lionel Jospin, il a mis à jour, en théorie et en pratique, son socialisme républicain, hérité de Jean Jaurès. Malgré des succès économiques remarquables et de nouvelles conquêtes sociales, cette expérience a débouché sur le désastre de 2002. La réflexion et l’expérimentation se poursuivent sous la mandature de François Hollande, à laquelle l’auteur consacre plusieurs chapitres. Après les compromis conquérants des «trente glorieuses », les compromis défensifs de crise, s’affirme un compromis social-démocrate de troisième type : celui d’une réponse progressiste au nouveau capitalisme et au nouveau rapport de puissance.

Laurent Joffrin a fait une analyse de ce livre dans « Libé » que je soumets ici à votre lecture. Elle montre une réflexion qui dépasse l’instantanéité

« La gauche réformiste va-t-elle disparaître ? Comme Mark Twain lisant le faire-part de son décès dans un journal, elle répondra : «L’annonce de ma mort est très prématurée.» Il est vrai qu’elle en a vu d’autres depuis un siècle : la scission du congrès de Tours, l’effondrement de 1940, le désastre moral de la guerre d’Algérie, le gaullisme triomphant (Malraux : «Entre le communisme et nous, il n’y a rien»), le désastre électoral de 1993… Et pourtant. Toujours ce Lazare social-démocrate est ressuscité, pour continuer son œuvre de réforme. Ceux qui doutent de cette résilience liront l’essai précis et alerte d’Henri Weber, acteur et analyste du socialisme français.

Ils y trouveront au passage la première interprétation sensée du quinquennat de François Hollande, dont on dit tant de mal qu’on finit par perdre toute lucidité. Conciliant avec obstination socialisme et liberté, sûre que le libéralisme produit avant tout de l’injustice et que le communisme conduit à la tyrannie d’une minorité, l’increvable social-démocratie a connu trois époques depuis la guerre.

D’abord celle de la conquête. Pendant la période de croissance rapide qu’on a appelée les Trente Glorieuses, elle a mis en œuvre l’essentiel des réformes qui faisaient depuis des décennies la trame des revendications ouvrières : protection générale contre les aléas de la vie, régulation du marché du travail, extension des congés payés, droit syndical, pilotage keynésien de l’économie, etc., transformant radicalement la condition salariale dans les pays développés.

La crise étant venue, elle se tourna vers des compromis défensifs, destinés à maintenir les acquis de la période précédente et à contenir les effets délétères de la faible croissance et du chômage de masse.

Nous sommes aujourd’hui dans la troisième période, celle de l’adaptation des mêmes institutions sociales à la nouvelle donne de la mondialisation. En Allemagne et en Suède, les deux expériences les plus nettes de ce troisième épisode, les sociaux-démocrates ont redressé leur économie, réformé leur Etat-providence, tout en inventant de nouvelles formes de protection comme la «flexisécurité», qui cherche à concilier droits sociaux et meilleure fluidité du marché de l’emploi. Ils ont dans le même temps réorienté une politique traditionnellement productiviste vers l’impératif de développement durable qui forme désormais le deuxième pilier de leur politique. Même s’ils sont en demi-teinte, les résultats obtenus dans ces deux pays ont de quoi rendre jaloux n’importe quel gouvernement. Quoi qu’en disent ses opposants, François Hollande s’est délibérément inscrit dans cette troisième époque : redressement douloureux de l’économie grâce à une meilleure compétitivité, prise en compte de la contrainte écologique, réformes utiles de l’Etat-providence, comme le compte personnel d’activité, le tiers-payant, l’investissement dans l’éducation ou le retour à la retraite à soixante ans pour les travailleurs ayant commencé leur carrière très tôt. Même si cette politique tarde à porter ses fruits, elle se distingue très clairement de la voie libérale choisie par la grande majorité des nations concurrentes. Elle a surtout maintenu la France dans le groupe des pays les moins inégalitaires du monde.

Pour étayer sa thèse, Weber a constitué un dossier complet, appuyé sur une connaissance intime des mécanismes européens et des politiques menées par nos voisins. Quiconque veut porter un jugement rationnel sur l’expérience menée depuis 2012 et cherche des pistes pour l’avenir du socialisme démocratique doit le lire, qu’il approuve ou non cette politique. Sans cette connaissance, les plaidoyers sonnent faux et les réquisitoires se ramènent à une creuse rhétorique. »

 

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3 Commentaires

    • Cécile-Anne Sibout sur septembre 24, 2016 à 7:17 am
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    Comme Henri Weber, je suis favorable au compromis (politique, social, voire familial). Cela me paraît la condition incontournable du progrès, voire tout simplement du maintien de la vie commune sans violence. Le rigolo, c’est que ce chantre du compromis qu’est désormais Henri Weber a été dans son jeune temps l’un des cofondateurs de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) dont la recherche du compromis n’était pas l’objectif premier (litote). Comme on change….

    1. Je suis tout à fait d’accord …mais il change dans le bon sens , alors tant mieux…

    • Décroissant sur septembre 25, 2016 à 9:52 pm
    • Répondre

    L’époque est décidément à l’ostracisme. Laurent Joffrin soutient François Hollande, soit, ce qui ne l’autorise nullement à imiter ces tenants de l’économie libérale qui excommunient tous ceux qui ne pensent pas comme eux (« Le négationnisme économique et comment s’en débarrasser ») en intimant la lecture-admiration de ce qui s’apparente à une défense pro-domo ou à se taire.
    D’autant que Henri Weber, professionnel de la politique, est partie prenante de celle menée, ce qui ne le désigne pas comme l’observateur le plus neutre que l’on puisse trouver. Si cela ne discrédite pas ses analyses, cela les colore quelque peu…

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