Dans la volumineuse anthologie des textes libéraux qu’ils ont réunis, (Les penseurs libéraux, Paris, Les Belles Lettres, 2012, 920 p., 29 €.), A. Laurent et V. Valentin avancent une définition univoque du libéralisme, afin de l’opposer frontalement au socialisme et de rejeter toute tentative de synthèse entre les deux.Vaste programme ! C’est par là, selon eux, que le débat politique pourra éviter les consensus illusoires. Michaël Biziou en donne dans la vie des idées, une intéressante interprétation.
Refusant de se réduire à une compilation fourre-tout, cet ouvrage tire sa qualité du fait que le choix des textes y est guidé par une réflexion théorique. Ce que les auteurs entendent par libéralisme est en effet l’objet d’une élaboration précise, exprimée avec clarté dans un riche appareil critique.
Le livre est organisé autour de Trois grandes étapes chronologiques : l’émergence du libéralisme aux XVIIe et XVIIIe siècles, son affirmation au XIXe siècle, son renouveau au XXe siècle. Au sein de ces étapes, les extraits sont classés suivant diverses articulations thématiques : tolérance religieuse, liberté politique, liberté économique, courant utilitariste, courant libertarien, etc.
Peut-on vraiment circonscrire de façon unifiée un terme dont les acceptions sont pourtant si multiples ? Peut-on déterrer une souche commune à des rameaux apparemment aussi différents que libéralisme économique et libéralisme politique, libéralisme classique et néolibéralisme, libéralisme rationaliste et libéralisme évolutionniste, libéralisme jus naturaliste et libéralisme utilitariste, ordo libéralisme et ultralibéralisme, etc. ?
Ce risque de dogmatisme peut aussi se formuler, du point de vue historique, comme un risque d’anachronisme. N’y a-t-il pas une illusion rétrospective à vouloir repérer une continuité du libéralisme depuis le XVIIe siècle, alors que le terme ne fait ses débuts de façon peu fort définie qu’au milieu du XIXe siècle, et continue à demeurer imprécis jusqu’en ce début de XXIe siècle ?
Pour les auteurs, Il ne s’agit pas uniquement de faire progresser la connaissance académique du libéralisme, mais aussi et surtout de nourrir en pratique le débat démocratique : « La vitalité du débat démocratique nécessite que se maintienne une conception pure du libéralisme, en face d’une conception pure du socialisme » (p. 87).
Quelle est donc cette définition univoque qui nous est proposée ?
Présentons la en deux formulations successives, l’une strictement conceptuelle et l’autre plus historique.
La première consiste à dire que le libéralisme est une conception de la société pour laquelle la liberté individuelle n’est « pas seulement une fin mais un moyen » (p. 27), n’est pas seulement considérée comme « un objectif » mais « comme la meilleure solution » (p. 28).
Cette première formulation peut ensuite être transposée dans le cadre d’une interprétation historique de la modernité politique. Si l’on concède que cette dernière se caractérise par un programme de promotion des droits de l’homme et de la démocratie, alors on peut considérer que le libéralisme des origines en a historiquement posé le « socle » ou le « cadre » (p. 17). Mais, par la suite, la réalisation progressive de ce programme a pu prendre la forme soit de l’intervention étatique modelant la société, et c’est « la voie du socialisme », soit du libre cours laissé à la liberté individuelle, et c’est « la voie du libéralisme » (p. 26).
Dans cette perspective, le libéralisme apparaît à la fois comme « le socle de la modernité et l’un de ses développements possibles » (p. 17), ce développement consistant en « une interprétation individualiste de la modernité » (p. 84) par opposition à une interprétation collectiviste. La principale conséquence, indissolublement théorique et politique, que tirent les auteurs d’une telle définition univoque, est de désigner le socialisme comme frère ennemi du libéralisme. Si le communisme ou le fascisme sont aussi ses ennemis, ils n’appartiennent pas du tout à la même famille de pensée.
Seul le socialisme se trouve dans une position de symétrique opposé du libéralisme, parce que ce sont deux doctrines visant la même fin mais sans utiliser le même moyen, deux façons de réaliser le programme de la modernité mais en l’interprétant différemment. Minimiser l’opposition entre libéralisme et socialisme serait donc priver la démocratie de son débat actuel le plus fécond : « Les considérer comme une divergence dérisoire entre amis signifierait qu’une fois écartés les projets communistes et fascistes, aucun débat ne divise les démocrates.
Alors que l’on accuse souvent le libéralisme d’avoir pour effet de dépolitiser la société en remplaçant la délibération démocratique par la neutralité constitutionnelle ou l’échange marchand, voici donc une proposition d’utiliser le libéralisme pour, paradoxalement, repolitiser les débats.
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