" Quand le roi est nu et le pouvoir impuissant, en quoi consiste le fait de gouverner, sinon à jouer de manière délibérée avec les apparences ? " ou " De l'incarnation de la fonction, on est passé à l'exhibition de la personne ».
Dans La Lettre du Cadre Territorial (15 juillet 2013) , Roger Morin évoque les difficultés de la politique aujourd’hui, en s’appuyant sur le livre de Christian Salmon La Cérémonie cannibale – De la performance politique chez Fayard. Christian Salmon s'est fait connaître comme théoricien du storytelling, art de séduire par le récit, faute de savoir convaincre par le programme et l'action efficace.
Il va aujourd'hui plus loin, en montrant que cette récente transformation du politique, loin de lui ouvrir un nouvel âge d'or, en serait plutôt le chant du cygne. Christian Salmon est cinglant : « Plus le politique est impuissant, plus il est volontariste », crise de crédibilité de la parole publique, une crise de confiance dans la signature de l’Etat, «L’homme politique est peut être en train de disparaître?»
Deux grandes transformations sont à l'origine de l'effondrement du politique qu’analyse ici Roger Morin. La plus importante est la révolution néolibérale, entreprise de déconstruction de l'État, qu'elle dépossède de ses prérogatives à tel point que la notion même de souveraineté est frappée de désuétude.
L'autre est celle de la communication, qui déplace le politique vers de nouvelles scènes médiatiques où les fondamentaux de la démocratie – délibération, argumentation, connaissance – n'ont pas leur place, puisque l'immédiateté et la recherche de la séduction par l'émotion y sont la règle.
La nouvelle figure du politique – résultat de la perte de substance qu'il s'est infligée, autant qu'il la subissait – tient largement du simulacre. L'invocation des valeurs, censée suppléer à l'incapacité à agir efficacement, s'avère contre-productive, conduisant à mettre en pleine lumière les turpitudes insoupçonnées qui envahissent l'actualité.
Le volontarisme verbal, trop rarement suivi de résultat, nourrit le désenchantement. Faute de légitimité des autorités, les personnes qui en ont la charge sont exhibées dans une sorte de jeu de massacre qui prend des allures sacrificielles. La rhétorique du changement, bien adaptée au rôle d'opposants, vole en éclats à l'épreuve de l'exercice du pouvoir.
En définitive, c'est un effondrement du politique sur lui-même que nous vivons. Et il menace d'une perte de confiance sans précédent l'ensemble de la sphère publique. Le constat est évidemment accablant, d'autant qu'il n'est guère assorti d'éléments positifs qui pourraient suggérer une alternative.
Il faudra bien s'en préoccuper, pourtant, car il montre aussi que le modèle qui prévaut aujourd'hui ne tiendra pas longtemps, en raison des contradictions qui le travaillent : l'abus du « récit » délié du réel disqualifie la parole publique, le volontarisme à outrance sans incidence sur le cours des choses alimente un cercle vicieux de délégitimation, et les personnages auxquels les nouvelles règles du jeu accordent la première place révèlent de plus en plus leur vulnérabilité.
Cette indispensable alternative, ce n'est probablement pas d'un renouveau de l'État national qu'il faut l’attendre. Il y a sans doute davantage à chercher au niveau inférieur, le local, où les phénomènes que décrit Salmon n'ont pas produit pour l'instant les mêmes dégâts, ou au niveau supérieur, l'Europe, qui pourrait être le niveau de reconstitution d'une forme de souveraineté adaptée au monde d'aujourd'hui.
Oui, pour l’instant, car la perte progressive du pouvoir des Maires relaie doucement ce mouvement dans les communes : c’est aussi pour cela que j’accorde une telle place au débat sur la métropole et la nécessité de pouvoir partager librement l’intercommunalité.
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