Dans le cadre de la campagne des régionales, je publie ici une note, à paraitre dans la revue Etudes Normandes : Bonne lecture!
“La politique de l’emploi est une notion complexe, floue car multiforme : l’objectif de plein emploi relève des politiques macro-économiques, les revenus de substitution relèvent de la politique sociale, la création d’activités relève de la politique industrielle… La politique de l’emploi au sens strict se limite donc plutôt à ce besoin de régulation sur le marché du travail, d’intermédiation entre l’offre et la demande.
Au sens du code du travail, les missions du service public de l’emploi concernent : l’accueil, l’information des demandeurs d’emploi, leur placement, le versement d’un revenu de remplacement, la sécurisation des parcours professionnels.
Un besoin d’ancrage territorial
Cette action publique doit s’ancrer dans les territoires car le marché du travail est pour beaucoup de salariés un marché local, ce qui ramène bien sûr à des notions comme celles de bassin d’emploi, ou de système local d’emploi.
La grande conférence sociale de juin 2013 souligne « l’importance de l’échelon territorial pour le déploiement et l’animation des dispositifs au plus proche des entreprises et des publics, dans le cadre d’un partenariat renforcé entre tous les acteurs ».
La question du territoire comme espace d’analyse, de diagnostic, de concertation, de coordination, de coopération pour le déploiement de la politique de l’emploi est apparue comme nécessaire dès le début des années 1980. Elle s’est renforcée au fur et à mesure du développement du processus de décentralisation.
Elle est inscrite dans un besoin croissant d’adapter la politique de l’emploi aux territoires, aux besoins des bénéficiaires, aux réalités géographiques et institutionnelles qui les organisent, à la réalité des entreprises qui structurent ce marché local du travail. Nécessitant un diagnostic spécifique, cette démarche au plus près des territoires a aussi pu se développer en s’appuyant sur des données nouvelles autour du bassin d’emploi, et des flux de main d’œuvre.
L’ancrage territorial des politiques d’emploi est construit autour de plusieurs préoccupations : une meilleure connaissance de fonctionnement du marché du travail, l’organisation des synergies entre acteurs et pouvoirs locaux, le développement des initiatives locales pour la création d’emploi et de la mobilisation autour de l’emploi.
Une multiplication des acteurs locaux
Cette territorialisation de la politique de l’emploi a multiplié les acteurs intervenant sur l’accueil et l’accompagnement des demandeurs d’emploi. On trouve ainsi :
Les missions locales, qui interviennent principalement auprès des jeunes de 16 à 25 ans les plus en difficulté, en abordant l’insertion dans sa dimension la plus globale (santé, logement, transport…)
Cap emploi, plus spécifiquement axé sur l’accompagnement des publics en situation de handicap
L’Apec, plus tournée vers les publics cadres
Les plans locaux d’insertion par l’économie (PLIE) portés souvent par les communes, les structures intercommunales ou les départements.
Et bien sûr, Pôle Emploi, issu de la fusion de l’ANPE et des ASSEDIC en 2009, qui est normalement l’opérateur généraliste autour duquel s’organisent les partenariats. Les relations avec les entreprises, notamment sur la question des placements, relève de Pôle Emploi, et de ses « sous-traitants », qu’ils soient publics, mais aussi privés depuis quelques années.
Ce paysage créé un véritable labyrinthe, tant pour les demandeurs d’emploi que pour les entreprises.
A cette diversité d’acteurs s’est ajoutée l’évolution de la décentralisation et des compétences des collectivités locales.
Les Départements, en portant le revenu de solidarité active (RSA), se sont vus confier des missions d’accompagnement social et professionnel croissantes, assumées directement ou en partenariat avec les communes ou des associations. En 2012, l’association des départements (ADF) s’interrogeait aussi sur « la capacité comme la volonté de (Pôle Emploi) de territorialiser ses actions au plus près des bénéficiaires du RSA ». Dès lors, le Département devient un nouvel acteur du Service Public de l’Emploi, avec le fonds départemental d’aide aux jeunes en difficulté, avec l’élaboration des pactes territoriaux d’insertion, la mise en œuvre des PLIE ou des contrats d’avenir…
Les Régions sont devenues progressivement les chefs de file dans le développement économique et la formation professionnelle. En adoptant leur plan régional de formation professionnelle pour les « adultes » et les « jeunes », en devenant l’interlocuteur principal pour l’apprentissage, pour l’Afpa, pour les formations sanitaires et sociales, en finançant les formations accompagnant les contrats de sécurisation professionnelle , elles deviennent le véritable organisateur de la formation professionnelle. S’ajoute la prise en charge depuis la loi du 5 mars 2014, par les Régions, d’un véritable service public régional de l’orientation (SPRO) pour l’organisation de l’orientation tout au long de la vie. Enfin, en devenant avec la décentralisation le chef de file pour le développement économique, la Région est au cœur des dispositifs de soutien aux entreprises, à la création d’entreprise, à l’organisation des filières économiques, permettant ainsi un meilleur repérage des offres d’emploi et des besoins de formation.
Les enjeux sont multiples :
Les enjeux liés à une meilleure gouvernance sur le territoire sont pourtant nombreux.
Tous ces acteurs sont les premiers exposés aux difficultés, aux insatisfactions des demandeurs d’emploi ou des entreprises. Ils sont les premières victimes des rigidités de cette organisation ou des inadaptations des dispositifs.
Ce sont ces acteurs seuls qui peuvent établir le diagnostic sur le territoire, le mieux adapter les politiques publiques en fonction des publics les mieux ciblés.
La nécessité de la coordination des acteurs est évidente mais on ne peut éluder la difficulté de sa définition : coordonner qui sur quoi ? Coordination des actions (les objectifs), ou des acteurs (les moyens qui leurs sont attribués) ? Coordonner à quel stade : avant la mise en œuvre, au niveau des pratiques ? Qui organise la coordination et avec quel pouvoir de mise en œuvre ?
L’autre difficulté de la territorialisation tient à la question de la pertinence du territoire : le bon découpage territorial n’est pas nécessairement celui des acteurs ! Le bassin d’emploi n’est pas un découpage administratif. La pertinence du découpage n’est-elle pas liée aussi aux fonctions correspondantes ? On ne coordonne pas de façon identique dans une logique de « bassin d’emploi », avec ses acteurs et leurs actions, et une logique « nationale » ou « régionale ».
Notre pays consacre des moyens financiers et humains très importants, au service public de l’emploi. Avec les 5 milliards d’euros annuels finançant les 950 agences locales ou ses 53 000 salariés, Pôle Emploi, était censé devenir à partir de la loi de 2008, le véritable « opérateur universel de l’emploi ». Pourtant son action est peu lisible, comme le souligne un récent rapport de la cour des comptes, sur l’essentiel : le placement. Ce n’est évidemment pas la qualité des personnels qui est en cause (ils exercent un métier réel, reconnu) mais une organisation devenue incompréhensible. La recherche d’emploi est devenue un parcours du combattant pour les demandeurs d’emploi, qui « baladés » de service en service, le terminent trop souvent dans le bureau de l’élu local.
Les maisons de l’emploi, comme le souligne le centre d’études de l’emploi, illustrent parfaitement ce paradoxe entre centralisation et territorialisation. Leur échec tient lieu à « la difficulté d’articuler l’intervention des territoires à celle de l’Etat dans la conduite de l’action publique ». En l’absence de réelle « autonomie », elles n’ont pu assumer le rôle de « guichet unique » qu’on pouvait attendre d’elles.
De l’Etat aux Régions
L’Etat garde la compétence « emploi », à titre quasiment exclusif. La loi de décentralisation du 2 mars 1982 lui confie ainsi « la responsabilité de la conduite des politiques économiques et sociales, ainsi que de la défense de l’emploi ». L’idée derrière cette situation reste l’illusion de l’égalité des territoires. Et pourtant le chômage varie considérablement d’un territoire à l’autre, et l’inefficacité de l’action publique conforte ces inégalités.
Les moyens de Pôle Emploi sont très inégalement répartis sur les territoires : un conseiller à Tremblay, en Seine Saint Denis suit 267 demandeurs d’emploi, tandis que son collègue du XVIème arrondissement de Paris en suit 142, soit quasiment le double. En Aquitaine, un conseiller à Saint Jean de Luz suit 131 demandeurs d’emploi contre 290 à Lormont.
L’Etat doit bien sûr garder ses missions régaliennes, son rôle législatif, sa fonction de contrôle et d’évaluation, la définition des droits d’indemnisation des demandeurs d’emploi, la collecte des statistiques de l’emploi. Mais avec la fusion des Assedic et ANPE, Pôle Emploi a mélangé des fonctions régaliennes et des fonctions opérationnelles, aboutissant à ce constat de la cours des comptes selon lequel les conseillers passent de moins en moins de temps à la mission « placement » ?
Dans le cadre de la loi « NOTRe » (Nouvelle Organisation Territoriale de la République), certains responsables politiques ont proposé que les Régions prennent en charge le service public d’accompagnement vers l’emploi pour arrêter cet émiettement préjudiciable, et conduire ainsi une véritable territorialisation.
Dans les territoires, chaque année, 820 000 emplois sont non pourvus et 400 000 recrutements abandonnés ; 15% des offres de Pôle Emploi ne trouvent pas preneurs ! C’est un cout économique et social considérable !
En ayant la responsabilité du développement économique et des politiques d’accompagnement des entreprises, de la création d’entreprises, de la formation professionnelle, de l’apprentissage et de l’orientation… , les Régions n’ont-elles pas la légitimité à assumer le pilotage de l’accompagnement des chômeurs vers l’emploi.
L’emploi est devenu « de fait », une compétence largement assumée par les collectivités locales. N’est-il pas temps de traduire cette réalité dans l’organisation des compétences qui leurs sont confiées, de « par la loi ».
Les Régions constituent le bon échelon, entre le territoire « national », et les « bassins d’emploi » pour assurer cette gouvernance aujourd’hui nécessaire de la politique de l’emploi, tout en laissant à l’Etat les missions régaliennes qui sont les siennes ; il est difficile à des fonctionnaires de l’Etat d’organiser au plan opérationnel, cette gouvernance territoriale.
Les missions assurées déjà par les Régions les mettent en meilleure position pour organiser la coordination des acteurs avec lesquels elles travaillent déjà. L’intervention des régions dans le domaine économique a une dimension structurante. Elles ont développé des outils innovants et adaptés aux territoires, créant des « écosystèmes » favorables aux acteurs économiques. C’est dans ce cadre que cette coordination territoriale des acteurs pour l’emploi peut le mieux trouver sa place.
Elles peuvent contribuer à mettre fin à ce cloisonnement, qui n’existe pas dans les autres pays d’Europe. En Allemagne, les « länder », et leurs subdivisions les landKreis…., sont au cœur de la gouvernance de l’agence fédérale pour l’emploi. En Italie, ce sont les Régions qui pilotent les centres régionaux pour l’emploi.
En confiant la compétence « emploi » aux Régions, en leur transférant les moyens, celles-ci pourraient assurer la coordination des acteurs, organiser le maillage territorial et la répartition des moyens au plus près des besoins des bassins d’emploi, mettre en place une véritable politique de prospection des entreprises et cibler les publics prioritaires selon les bassins.
Il s’agit là d’une véritable réforme systémique, prenant en compte la relation économie-emploi-formation, les questions d’insertion et de qualification, au niveau régional et infra régional. Elle doit renforcer la démocratie sociale en redonnant du sens au dialogue social territorial.
Depuis trente ans la politique nationale de l’emploi cherche sa nécessaire territorialisation. Sa régionalisation peut en être la nouvelle étape.”
———
Références bibliographiques sommaires :
Rapport de l’IGAS sur la « territorialisation de la politique de l’emploi », Mai-Juin 2013 :Les travaux de l’IGAS font l’objet de deux rapports : Le premier propose une « cartographie» de la politique territoriale de l’emploi , et le second rapport propose un bilan – état des lieux de la mise en œuvre de la politique territoriale de l’emploi.
http://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/RM2013-164P_definitif_.pdf
– Bref du CEREQ, Approche intégrée des politiques de l’emploi : les défis de la territorialisation et de l’individualisation, par Thierry Berthet, Clara Bourgeois , n° 334 , 2015 , 4 p.
– Centre d’Etudes de l’emploi, Connaissance de l’emploi, janvier 2015, n°118 : Les maisons de l’emploi ou l’introuvable politique territoriale de l’emploi, par Solen Berhuet, et Carole Tuchszirer
– Rapport de la cour des comptes, Pôle emploi à l’épreuve du chômage de masse, juillet 2015,
https://www.ccomptes.fr/Actualites/A-la-une/Pole-emploi-a-l-epreuve-du-chomage-de-masse
– Projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République : débat au Parlement
http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl13-636.html
– Connaissance du marché local de l’emploi et accompagnement, dossier documentaire , octobre 2012,
http://www.emploi.gouv.fr/files/files/CSP-Dossier-documentaire_Ressources-en-ligne.pdf
– Segmentation et marchés locaux du travail, par J F Thisse , et Yves Zenou, Economie et Prévision, n° 131, 1997
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ecop_0249-4744_1997_num_131_5_5885
Commentaires récents