Mar 08

L’ Emploi du temps, source d’ inégalités sociales et d’inégalités entre les sexes

emploi du tempsLe dossier que propose l’INSEE réunit huit articles mobilisant les données de l’enquête Emploi du temps 2010 , collectée entre septembre 2009 et septembre 2010. Cette enquête est la cinquième d’une série réalisée depuis les années 1970 par l’Insee à un rythme à peu près décennal avec les collaborations  du Ministère du Travail (Dares), du Ministère de l’Éducation nationale (Depp), du Ministère des Affaires sociales (Drees), ainsi que de la Cnaf. Les enquêtes Emploi du temps décrivent de façon précise l’usage que les individus font de leur temps, renseignant non seulement sur les activités effectuées, mais aussi leur durée, le moment et le contexte de leur déroulement. De telles enquêtes sont conduites depuis plusieurs décennies dans de nombreux pays…

 La vie quotidienne en France depuis 1974. Les enseignements de l’enquête Emploi du temps

Entre 1974 et 2010, le temps de travail total, rémunéré ou non, a décru chez les citadins de 10 heures par semaine, et cela de façon genrée : cette réduction porte sur les activités professionnelles pour les hommes (liée à l’augmentation de la part des retraités et des chômeurs et à la baisse du temps de travail) et sur les activités domestiques pour les femmes (liée à la diminution de la part des femmes au foyer, à l’automatisation de certaines tâches et une externalisation croissante de la production domestique).

 Les citadins se restaurent davantage en dehors du domicile et mangent des plats préparés ou semi-préparés. Les emplois du temps masculins et féminins ont continué à se rapprocher. Forte en début de période, l’augmentation de la durée des loisirs (+ 9 heures) s’est ensuite ralentie. Le temps ainsi libéré s’est reporté d’emblée sur le petit écran puis sur les jeux vidéo, les pratiques numériques ensuite, au détriment des formes traditionnelles de lecture. L’individualisation des pratiques s’est poursuivie, grâce à la diffusion de nouvelles technologies qui permettent une approche plus personnelle du temps libre, mais aussi à des effets de structure comme la part croissante de personnes vivant seules.

En définitive, la prise en charge d’une part croissante des activités domestiques par le marché et le secteur public et l’augmentation du temps de loisir qui en a résulté ont pu s’opérer parce que la population féminine en partie libérée des tâches ménagères a justement occupé les postes créés dans les secteurs correspondants (ménage, aide à la personne, accueil des jeunes enfants, activités récréatives, restauration), postes pour la plupart précaires et peu qualifiés. Parallèlement à la hausse des inégalités de revenus depuis les années 2000, le régime d’organisation des emplois du temps n’aurait-il pas évolué d’un régime de type socio-démocrate vers un régime plus libéral, selon la typologie proposée par Gershuny (2000).

Travail professionnel, tâches domestiques, temps « libre » : quelques déterminants sociaux de la vie quotidienne

La manière d’occuper ses journées dépend d’abord du fait d’avoir ou non une activité professionnelle et secondairement, surtout pour les femmes, de vivre en couple et d’avoir des enfants. Les femmes accomplissent les deux tiers des tâches domestiques. La division genrée du travail domestique tend à se reproduire, les filles s’impliquant plus largement que les garçons dans les tâches ménagères. Les hommes à leur compte travaillent plus que les salariés et s’accordent moins de temps libre.

Les cadres accumulent également beaucoup d’heures de travail, mais ils bénéficient d’horaires moins contraignants que les ouvriers et les employés. Par le recours à des services marchands, ils se libèrent des tâches ménagères les plus ingrates. Les ouvriers et les employés ont des distractions peu coûteuses comme la télévision, qui leur apporte peu de satisfaction, les jeux vidéo, les promenades, les visites rendues à l’entourage. Quand arrivent les périodes de chômage ou le temps de la retraite, ils s’investissent dans des activités de semi-loisir telles que le jardinage et le bricolage.

Si les « jeunes » constituent un groupe hétérogène, ils ont en commun un faible investissement dans les tâches domestiques, un intérêt pour les cultures numériques et les distractions à l’extérieur du foyer. Quant aux personnes âgées, elles privilégient les activités domestiques, le petit écran, la lecture et les promenades. Avec l’avancée en âge, elles passent progressivement du statut d’aidant à celui d’aidé ; le poids des tâches ménagères diminue, tandis que le temps alloué au repos augmente et les échanges avec l’extérieur se raréfient.

 De l’organisation des journées à l’organisation de la semaine : des rythmes de travail socialement différenciés

Les rythmes et modes d’organisation du travail ont beaucoup évolué au cours de ces dernières décennies : augmentation du travail le week-end, accroissement des horaires irréguliers et imprévisibles, réduction du temps de travail. La dernière enquête Emploi du temps permet de dresser un état des lieux des horaires de travail en 2010. La description fine des heures travaillées au cours d’une semaine permet de distinguer huit types de journées (standard, longues, demi-journées, décalées matin, après-midi soirée, ou nuit, fragmentées, courtes) et neuf types de semaines de travail – les huit premières dominées chacune par l’un des types de journées identifiés, la dernière caractérisée par de nombreux jours de repos.

 La semaine standard reste la plus fréquente et concerne en grande partie les professions intermédiaires. La semaine longue touche davantage les non-salariés et les cadres ayant une lourde charge de travail et des horaires peu prévisibles mais qu’ils maîtrisent davantage que d’autres salariés. Les semaines décalées sont plus fréquentes dans les grands établissements et résultent du mode d’organisation particulier qu’est l’alternance des horaires de travail, observée le plus souvent chez les ouvriers de l’industrie et les professions intermédiaires de la santé.

 Les semaines atypiques s’observent dans des secteurs et des professions variés, mais surtout chez les employés non qualifiés. Les salariés concernés cumulent plus de contraintes horaires et déclarent plus souvent chercher un autre emploi. En lien avec la réduction du temps de travail, les semaines normales de travail – sans congés, ni jours de RTT – sont moins fréquentes en 2010 qu’en 1998. Les semaines longues semblent également moins nombreuses. Sur la période, d’autres facteurs ont pu affecter l’emploi du temps des actifs (législatifs, conjoncturels, structure de la main d’œuvre, changements organisationnels) et conduire à des évolutions différenciées selon les catégories socioprofessionnelles.

 Travail domestique : les couples mono-actifs en font-ils vraiment plus ?

Selon la mesure traditionnelle du niveau de vie, deux couples ayant le même revenu sont supposés avoir le même niveau de vie, que les deux membres du couple occupent un emploi rémunéré ou que l’un occupe un emploi et l’autre reste au foyer. Pourtant, chez les couples mono-actifs, le conjoint au foyer pourra prendre en charge certains services (garde d’enfants, courses, cuisine, ménage…) que le couple bi-actif devra payer ou ne pas assurer.

 Cette étude propose de quantifier le surplus de travail domestique des couples mono-actifs par rapport aux couples bi-actifs à partir des données de l’enquête Emploi du temps 2009-2010. Ce surplus de travail quotidien est en moyenne de 2h05 dans une acception restreinte des tâches domestiques. Cet écart est amplifié en présence d’enfants à charge. Toutefois, les ménages mono-actifs présentent des caractéristiques différentes des ménages bi-actifs : ils ont notamment plus d’enfants et plus souvent des enfants en bas âge, caractéristiques qui sont corrélées à un surcroît de travail domestique. A l’aide d’une décomposition de Blinder-Oaxaca , contrôlé de ces caractéristiques, on peut montrer que les couples mono-actifs consacrent 1h13 quotidienne supplémentaire aux tâches domestiques par rapport à leurs homologues bi-actifs. Les 2h05 observés avant correction sont à comparer aux 4h30 de temps disponible quotidien que donne, en moyenne, le fait d’être inactif. L’écart correspond principalement à du temps de loisir (1h15), à du temps physiologique (41mn) et à du travail domestique « étendu » (24mn).

 Par ailleurs   les couples mono-actifs ont, toutes choses égales par ailleurs, plus de 3 fois moins souvent recours à une aide rémunérée pour les tâches ménagères. L’arbitrage entre « faire », « faire faire » et « ne pas faire » semble donc pencher plutôt vers le « faire » pour les couples mono-actifs. Mais l’ensemble de ces constats varient en fonction de la situation sociale du couple.

Le temps domestique et parental des hommes et des femmes : quels facteurs d’évolutions en 25 ans ?

Au cours des dernières décennies, l’organisation domestique a été affectée par des évolutions majeures, telles que la montée de l’activité féminine et du niveau d’instruction, ou la réduction de la taille des familles. Cet article analyse de quelle manière les temps domestiques et parentaux des hommes et des femmes ont été modifiés par ces transformations depuis 1985. Il étudie les évolutions des moyennes et des distributions de ces deux usages du temps pour l’ensemble des personnes d’âge actif, et il porte un regard particulier sur les changements opérés au sein des couples. Au cours des 25 dernières années, les femmes ont consacré davantage de temps aux activités parentales, mais elles ont sensiblement réduit le temps dédié à l’entretien domestique.

Cette baisse tient surtout aux changements de leurs pratiques, et dans une bien moindre mesure à la progression de l’activité féminine et aux changements des structures familiales. La réduction est plus notable pour les femmes qui consacrent le plus de temps à la sphère domestique. Les hommes se sont davantage impliqués dans l’éducation des enfants, les pères peu ou non participants devenant plus rares. Toutefois, la contribution des hommes aux autres tâches domestiques est demeurée stable. En 2010, les femmes effectuent ainsi la majorité des tâches ménagères et parentales – respectivement 71 % et 65 %.

Cette inégale répartition montre des résistances à un partage plus égal des tâches. Au sein des couples, les comportements domestiques et parentaux sont liés positivement, mettant en évidence des exigences domestiques et préférences éducatives communes qui vont au-delà de l’homogamie sociale ainsi qu’une moindre spécialisation des rôles conjugaux au fil du temps. Le nombre de couples dans lesquels l’homme réalise davantage de travail domestique que leur conjointe augmente, ils représentent un quart des couples en 2010.

Le temps consacré aux enfants : les enseignantes et enseignants se distinguent-ils des autres diplômés de l’enseignement supérieur ?

Les enfants d’enseignants sont généralement les mieux situés dans la course scolaire, y compris lorsqu’ils sont comparés aux enfants de cadres. Une des explications à cet effet « parent enseignant » est l’organisation temporelle spécifique de cette profession, et la synchronisation des temps familiaux qu’elle permet. Cet article, à partir de l’exploitation de l’enquête Emploi du Temps 2010 et du module spécifique « Enseignants », analyse le temps parental et sa répartition sexuée chez les enseignants et les diplômés non enseignants.

Trois temps ont été étudiés : le temps total consacré aux enfants, le temps consacré uniquement aux jeux et à l’instruction, et le temps consacré uniquement aux activités de soins et d’accompagnement. En comparant ces types de temps, la recherche met en évidence que les logiques de genre, de compétence et de disponibilité se combinent. En effet, les enseignants sont plus souvent et plus longtemps présents à leur domicile que les autres diplômés du supérieur, et consacrent globalement plus de temps à leurs enfants que ces derniers. Si on compare les hommes entre eux, et les femmes entre elles, le fait d’être enseignant entraîne une augmentation du temps consacré aux enfants les jours travaillés. Pour les femmes, ceci est vrai quel que soit le type de temps étudié. Pour les hommes, ceci est constaté uniquement pour le temps voué aux jeux et à l’instruction.

Ces différences entre enseignants et autres diplômés du supérieur ne sont pas compensées les jours de repos. La profession d’enseignant n’apparaît cependant pas remettre en cause l’inégale répartition sexuée des tâches liées aux enfants. Les hommes enseignants sont plus disponibles et participent plus aux activités de jeux et d’instruction les jours de travail que les femmes diplômés non-enseignantes, mais les femmes, enseignantes ou non, sont toujours celles qui consacrent le plus de temps aux activités de soins et d’accompagnement, quel que soit le type de jour étudié.

 La division du travail selon le genre est-elle efficiente ? Une analyse à partir de deux enquêtes Emploi du temps

La participation des femmes au marché du travail a considérablement augmenté depuis la seconde moitié du XXe siècle, se rapprochant de celle des hommes dans de nombreux pays. Néanmoins, elles consacrent partout davantage de temps que les hommes au travail domestique. Leur participation désormais massive au marché du travail ne semble donc pas s’accompagner d’une redéfinition des rôles de genre au sein de la famille. Pourquoi les hommes et les femmes effectuent-ils des choix aussi conformes à la tradition ?

Un calcul économique peut-il rendre compte de cette situation ? Nous tentons de répondre à ces questions à partir des enquêtes Emploi du temps 1998-1999 et 2010-2011, en analysant le partage des tâches dans les couples bi-actifs où la femme investit fortement sur le marché du travail. Nous utilisons à cet effet des indices d’investissement professionnel prenant pour référence soit les autres femmes, soit le conjoint. Nous montrons que les femmes tendent à exécuter sensiblement moins de travail domestique lorsqu’elles investissent plus sur le marché du travail.

En revanche, le temps de travail domestique de leur conjoint ne réagit à la hausse que de façon faible et peu significative, sauf si leur femme a un statut social supérieur au leur. Dans ce dernier cas, ils augmentent sensiblement leur temps de travail domestique, ce que l’on ne constate pas si leur conjointe a seulement un niveau d’éducation ou un salaire mensuel supérieur au leur. Ces résultats impliquent, en particulier, que même si l’écart de temps domestique entre les conjoints est bien réduit par rapport à la moyenne dans les ménages où la femme investit fortement sur le marché du travail, on n’observe pas le renversement des rôles qu’impliquerait une répartition des tâches efficiente.

  Ressources économiques des femmes et travail domestique des conjoints : quels effets pour quelles tâches?

 Cet article étudie l’impact des revenus du travail sur le temps de travail domestique des femmes françaises au sein de 1 674 couples bi-actifs occupés à temps plein, à partir de l’enquête Emploi du temps 2009-2010. Deux théories visent à interpréter le rapport entre les ressources économiques des conjoints et le temps alloué aux tâches domestiques.

 L’approche « absolue » explique la diminution du temps que les femmes y consacrent par l’augmentation de leur salaire, indépendamment de celui du conjoint, alors que l’approche « relative » met en avant le rôle des salaires relatifs comme mesure du pouvoir de négociation des femmes au sein du couple.  L’effet non linéaire observé pour le salaire relatif, interprété en termes de « performance de genre » dans la littérature, est dû à une mauvaise caractérisation de la relation entre salaire et temps de travail domestique. Celle-ci est très fortement non linéaire pour les femmes, indépendamment de leur pouvoir de négociation : à mesure que le salaire augmente, l’élasticité de leur temps de travail domestique au salaire se tasse.

 Il semble ainsi y avoir un niveau minimal de tâches incompressible pour les femmes, et cette diminution s’opère avant tout par une coupe dans les tâches ménagères et la cuisine ; le temps consacré aux enfants est insensible aux variations de revenus. La « relève » des hommes n’est que très partielle, et ne présente pas de forme non linéaire. De même, le recours à des services extérieurs explique très peu cette diminution ; il semble que les femmes adaptent avant tout leurs « attentes » par des modifications du volume global de production domestique. Ceci entraîne des changements du volume relatif de tâches effectué : une augmentation du poids relatif de la cuisine par rapport au ménage, et de « s’occuper » des enfants par rapport aux autres tâches.

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