Le Front national, et quelques-uns avec lui, a fait de la sortie de l’euro l’un de ses thèmes de campagne en se prévalant de l’intérêt des classes populaires pour justifier la restauration de la souveraineté nationale en matière monétaire.
La sortie de l’euro serait pourtant loin de servir les intérêts des classes populaires dont le FN a fait sa cible privilégiée : elle leur serait même extrêmement défavorable, comme le montre très bien une récente note de Terra Nova, dont je présente ici l’essentiel. Ce sont bien « les petits qui paieront », au côté des classes moyennes, et ce via un quadruple canal :
– LE RENCHERISSEMENT DES BIENS IMPORTES : UNE PERTE DE POUVOIR D’ACHAT POUR LES MENAGES MODESTES
Les hypothèses de dévaluation consécutive à une réintroduction de la monnaie nationale varient entre 15%, pour les économistes qui raisonnent sur les « fondamentaux », et 40%, pour ceux qui s’attachent davantage à la dynamique des flux de capitaux. renchérissement du prix des biens importés, phénomène qui concernerait l’ensemble des ménages, notamment ceux dont le pouvoir d’achat est déjà fragilisé. C’est le cas des produits pétroliers (essence, gazole, fuel domestique), mais aussi d’une partie des dépenses d’habillement (chaussures, vêtements…), d’alimentation (cacao, café, etc.), de télécommunication (téléphones portables…) et d’équipements informatiques (ordinateurs…), pour ne donner que quelques exemples. Si on ajoute la taxe de 3% sur les biens importés, cela entraînerait au total une hausse des prix d’environ 3,75% à 4,5% sur l’ensemble de la consommation des ménages. la facture pourrait donc se situer entre 1500 et 1 800 euros par ménage et par an. Entre 90 et 150 euros de pouvoir d’achat en moins par mois, c’est la purge sur le pouvoir d’achat de Le Pen , plus importante encore que celle de Fillon avec ses 2% de TVA qui représente entre 30 et 40 euros par mois.
Imaginer que cette dévaluation devrait faire reculer les importations et favoriser les exportations, en pénalisant la compétitivité-prix des premières et en augmentant celle des secondes, est illusoire : les produits domestiques ne peuvent se substituer à tous les produits importés car nous ne disposons pas de toutes les matières premières nécessaires, et aucun produit manufacturés ne peut être composés que de produits français !
– L’AUGMENTATION DE LA CHARGE DE LA DETTE PUBLIQUE
La sortie de l’euro aurait également des effets sur les classes populaires et moyennes via son incidence sur le poids de la dette publique. Avant l’institution de la monnaie unique, la France empruntait à dix ans sur les marchés à des taux nettement supérieurs à ce qu’elle connaît aujourd’hui. Prenons l’hypothèse la plus optimiste. Si les taux d’intérêt à 10 ans sur la dette française étaient majorés de 1,5 point, hypothèse optimiste, la charge de la dette publique augmenterait de 30 milliards d’euros par an à terme, selon le gouverneur de la Banque de France. Pour financer ce surcoût, il faudrait alors soit couper dans les dépenses publiques, soit augmenter les impôts, soit mixer ces deux options, la solution consistant à émettre davantage de titres de dette publique paraissant irréaliste au regard de la situation de défiance dans laquelle les marchés accueilleraient un programme d’émission complémentaire. Une majoration, plus pessimiste mais aussi plus vraisemblable, de 3 points aboutirait dans le cas français à une ardoise de 65 milliards par an à terme, soit l’équivalent d’environ 80% des dépenses actuelles de l’Education nationale.
– UN ACCROISSEMENT REDOUTABLE DES DETTES PUBLIQUES ET PRIVEES, ET LA PERTE DE VALEUR DE L’EPARGNE
Le stock des 2 160 milliards d’euros de dettes accumulé par la France se renchérit lui-même du fait de la dévaluation de la monnaie nationale. En effet, si la dette française continuait à être libellée en euros, elle se renchérit dans l’hypothèse d’une dévaluation de 15%, de 380 milliards. En le convertissant en monnaie nationale comme le veut Le Pen cela reviendrait à un défaut sur nos engagements vis-à-vis de nos créanciers. Il serait en tout cas interprété comme tel par l’ensemble des investisseurs internationaux, qui détiennent plus de la moitié de notre dette .La défiance accrue des marchés financiers à l’égard des titres souverains français conduiraient les prêteurs disposés à financer l’Etat français à exiger des taux beaucoup plus élevés pour le faire. Le risque ultime étant, pour une période plus ou moins longue, une fermeture des marchés financiers à la France qui serait alors contrainte à un ajustement budgétaire brutal et particulièrement violent. Le finance ment par la planche à billets ne peut pas s’exonérer d’un autre équilibre, qui s’impose à la Nation : l’équilibre de la balance des paiements. La banque de France peut créer autant de francs que lui demande Madame Le Pen, mais elle n’a pas le pouvoir de créer des dollars, des yens, des marks, des livres, etc. Or ces devises, la Nation en a besoin
Quant aux dettes privées, elles représentent en 2016 un total de 2 800 milliards d’euros (1250 milliards pour les ménages et 1540 milliards pour les entreprises non financières), auxquels il faudrait encore ajouter la dette privée des entreprises financières. Cette fois-ci, aucune loi souveraine ne permettrait de convertir en monnaie nationale la part de ces dettes souscrite en droit étranger. Les entreprises qui ont des dettes en monnaies fortes et des actifs ou des chiffres d’affaires en francs devront faire face à une augmentation brutale de leur taux d’endettement : certaines deviendront insolvables et feront faillite.
– UNE NOUVELLE CRISE FINANCIERE PESANT SUR L’EMPLOI
La sortie de la France l’euro, si elle s’accompagnait de la redénomination de la dette publique, serait sans doute le plus grand défaut de l’histoire moderne, entraînant des effets en chaîne dans toute l’économie mondiale.
Reprenons les ordres de grandeur. Le défaut argentin portait sur 100 milliards de dollars, le défaut grec sur 200 milliards de dollars, le défaut de Lehman Brothers sur 600 milliards de dollars. Ces défauts n’ont pas seulement impacté le système financier, mais à travers lui l’économie réelle, et la situation des plus modestes. Le défaut de la France porterait, lui, sur quelque 2 000 milliards dollars de dette publique, sans compter la part de la dette privée qui serait en défaut.
Ce qui est clair, c’est que les passifs courants, c’est-à-dire les comptes bancaires des particuliers, les livrets A, l’épargne populaire, tout cela passerait en francs Le Pen. Moins liquides et moins solvables, les banques réduiront le crédit, qui sera de toute façon plus cher du fait de la remontée des taux. affectant particulièrement les nouveaux accédants et les ménages endettés à taux variables. Le Front national porterait aussi la responsabilité de déprécier le patrimoine des détenteurs d’assurance-vie, notamment pour les fonds « en euros », qui sont ceux qui sont les plus détenus par les classes moyennes.
Comme toujours, ce genre de phénomènes – chocs monétaires, chocs bancaires – entraîneraient en même temps de terribles inégalités. Les plus riches, les plus informés et les mieux conseillés n’attendront pas ces complications pour mettre à l’abri leurs investissements financiers.
A la fin, le franc Le Pen n’aura rien fait que dévaluer l’épargne et le pouvoir d’achat des plus modestes, tout en provoquant une nouvelle crise financière et une montée du chômage.
Au nom de la « souveraineté retrouvée », il conduirait au désordre et à une perte de contrôle sans exemple depuis la guerre. Le chemin de notre souveraineté, c’est-à-dire au final d’une plus grande maîtrise de notre destin national, passe au contraire par l’euro et par l’Europe
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