Mobilité sociale : tel père, tel fils ?

« Ascenseur en panne », « mobilité bloquée », « déclassement » : le concept de mobilité sociale est très souvent invoqué dans le débat public, rarement de façon très claire. Il mérite quelques explications.

L’étude de la mobilité sociale cherche à mesurer les changements de position sociale entre les enfants et leurs parents. Pour mesurer cette position, l’Insee s’appuie sur les catégories socioprofessionnelles réparties en six grands groupes au niveau général : les agriculteurs, les artisans-commerçants-chefs d’entreprise, les cadres supérieurs, les professions intermédiaires, les employés et les ouvriers. Les statisticiens comparent le plus souvent la situation des hommes d’un âge donné à celle de leurs pères au même âge. L’Insee par exemple considérait habituellement les hommes de 40 à 59 ans mais a opté pour les 30-59 ans dans sa dernière étude qui porte sur l’année 2014.

La construction de cet indicateur pose au moins trois questions, selon le centre d’observation de la société :

Pourquoi cette tranche d’âge ? Si l’on intègre des personnes trop jeunes, on prend le risque que leur position sociale ne soit pas stabilisée, et donc de sous-estimer leur mobilité.

Pourquoi les pères ? Ce choix est lié à deux facteurs. Le premier est lié au taux d’activité des femmes, qui a été très nettement inférieur à celui des hommes. Le second est lié au statut social du ménage.

Pourquoi les fils ? Ce choix est lié à l’élévation du taux d’activité féminin, qui rend difficile la comparaison entre mères et filles. Si l’on observait la position sociale des filles par rapport à leur mère, on aurait une explosion de la mobilité sociale, mais on mesurerait alors surtout l’évolution de la place des femmes dans le monde du travail.

L’accès aux différentes positions sociales demeure profondément inégalitaire.

En 2014, pas moins de 47 % des fils de cadres supérieurs étaient eux-mêmes cadres sup, contre moins de 20 % de l’ensemble des fils et moins de 10 % des enfants d’ouvriers (les tableaux se lisent horizontalement). L’égalité des chances est bien lointaine puisque les fils de cadres deviennent cinq fois plus souvent cadres eux-mêmes que ceux d’ouvriers. Les trois quarts des enfants de cadres supérieurs sont restés dans leur catégorie sociale ou sont situés parmi les professions intermédiaires.

La situation des enfants d’ouvriers est le reflet inverse des enfants de cadres : 48 % sont demeurés ouvriers alors que seuls 10 % des fils de cadres sont dans ce cas. La situation des employés et des professions intermédiaires est plus incertaine. Si un quart des enfants des professions intermédiaires a grimpé dans la hiérarchie pour devenir cadre sup, plus du tiers est redescendu au niveau employé ou ouvrier. Un tiers des enfants d’employés sont devenus ouvriers, mais 42 % a accédé à une position sociale supérieure, soit parmi les professions intermédiaires (26,1 %) ou les cadres supérieurs (16,3 %).

Il ne faut pas tirer de conclusions trop hâtives des données sur la mobilité sociale. L’évolution du niveau global peut vouloir dire deux choses : soit que la structure des emplois change, soit que l’accès aux positions sociales devient plus fluide,

L’ascenseur social n’est pas bloqué : un tiers des fils d’ouvriers sont devenus cadres supérieurs ou professions intermédiaires. Mais il marche plus lentement qu’auparavant du fait du ralentissement des créations d’emplois. Les indicateurs dont on dispose, par ailleurs, ne disent rien des générations récentes dont le sort semble bien moins favorable.

En soi, la mobilité sociale ne dit rien des montées et des descentes dans la «hiérarchie sociale ». Pour cela, il faut classer les catégories sociales sur une échelle. Si l’on considère que l’on peut juger du statut social par le niveau de revenu et/ou de diplôme, on peut assez facilement classer les catégories de salariés en plaçant les cadres tout en haut, les professions intermédiaires au milieu, les ouvriers et employés en bas. C’est discutable, parce que par exemple le statut (public/privé) peut aussi jouer.

L’opération est bien plus complexe pour les deux catégories de non-salariés qui mélangent des agriculteurs sur petite exploitation, des artisans et des patrons de très grandes entreprises. Du coup, dans sa dernière étude, l’Insee ne parle plus de montée ou de descente pour les personnes qui entrent ou sortent de ces catégories, mais de changements de statut. Ce qui pose problème puisque du coup un fils d’agriculteur modeste qui devient PDG de multinationale ne fait que changer de statut

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