Les métaux rares : La face cachée de la transition énergétique et numérique ?

Transition énergétique, révolution numérique, mutation écologique… vers un nouveau monde enfin affranchi du pétrole, des pollutions, des pénuries et des tensions militaires ? Pourtant dans un récent ouvrage, « La guerre des métaux rares » le journaliste du Monde Diplomatique Guillaume Pitron évoque ce qu’il appelle la « face cachée de la transition énergétique et numérique ».

Des panneaux solaires aux véhicules électriques, en passant par certaines éoliennes, des vecteurs essentiels de la révolution énergétique en cours sont fabriqués à partir d’une trentaine de métaux rares (graphite, cobalt, indium, prométhium, tungstène, terres rares…) dont l’extraction et le raffinage sont dévastateurs pour l’environnement.

Alors que l’extraction pétrolière ou les mines à charbon de jadis nous apparaissent aujourd’hui comme les plus sales des procédés, Guillaume Pitron soulève un contrepoint inattendu : “Notre quête d’un modèle de croissance plus écologique a plutôt conduit à l’exploitation intensifiée de l’écorce terrestre pour en extraire le principe actif, à savoir les métaux rares, avec des impacts environnementaux encore plus importants que ceux générés par l’extraction pétrolière.” Les technologies de l’information et de la communication (smartphones, tablettes, ordinateurs), elles aussi, produisent “50% de plus de gaz à effet de serre que le transport aérien”, compare l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine dans sa préface.

 En nous émancipant des énergies fossiles, nous sombrons en réalité dans une nouvelle dépendance : celle aux métaux rares. Graphite, cobalt, indium, platinoïdes, tungstène, terres rares ces ressources sont devenues indispensables à notre nouvelle société écologique et numérique (elles se nichent dans nos smartphones, nos ordinateurs, tablettes et autre objets connectés de notre quotidien).

Les métaux rares se trouvent en quantité limitée dans la nature en comparaison de l’abondance du fer, du cuivre ou de l’aluminium…. Ils sont de fait géologiquement associés aux métaux abondants dans d’infimes proportions. Leur rareté implique un prix très élevé et une très faible production. Ils limitent l’empreinte carbone des produits qu’ils alimentent par leurs propriétés magnétiques. Ces « super-aimants » miniatures ne produisent aucun gaz à effet de serre, et génèrent une électricité propre, ce qui fait que  leurs propriétés physiques et chimiques sont utilisées par de multiples technologies vertes. Leur exploitation est donc en plein essor .

Les coûts environnementaux, économiques et géopolitiques de cette dépendance pourraient se révéler encore plus dramatiques que ceux qui nous lient au pétrole. Dès lors, c’est une contre-histoire de la transition énergétique que ce livre raconte – le récit clandestin d’une odyssée technologique qui a tant promis, et les coulisses d’une quête généreuse, ambitieuse, qui a jusqu’à maintenant charrié des périls aussi colossaux que ceux qu’elle s’était donné pour mission de résoudre.

Activités sauvages, mineurs illégaux, minerais purifiés à l’aide de produits chimiques déversés dans les sols et les fleuves… “D’un bout à l’autre de la chaîne de production de métaux rares, quasiment rien en Chine n’a été fait selon les standards écologiques et sanitaires les plus élémentaires”, détaille l’auteur. A Baotou, capitale mondiale des terres rares où il s’est rendu, les lacs de rejets toxiques et les “villages du cancer dont les habitants meurent à petit feu” constituent la réalité inavouable de la transition énergétique.

“Dissimuler en Chine l’origine douteuse des métaux a permis de décerner aux technologies vertes et numériques un certificat de bonne réputation”. Depuis les années 1990, les pays occidentaux ont délocalisé l’extraction et le raffinage de ces matières premières (associées dans la nature aux métaux les plus abondants) dans des pays prêts à sacrifier leur environnement pour doper leur économie, au premier rang desquels la Chine. C’est ce qui s’est produit en France avec Rhône-Poulenc (devenu Rhodia), un des deux grands chimistes mondiaux des métaux rares, qui a abandonné sa production – pour la transférer en Chine notamment – au milieu des années 1990.

Son essai bouleverse bien des idées reçues, et met en évidence une contradiction soustraite à nos yeux depuis des décennies : celle d’un “monde plus vert tributaire de métaux sales”. “Dissimuler en Chine l’origine douteuse des métaux a permis de décerner aux technologies vertes et numériques un certificat de bonne réputation. C’est certainement la plus fantastique opération de greenwashing de l’histoire”, écrit-il ainsi.

 Le journaliste plaide en conclusion de son ouvrage “en faveur d’un renouveau extractif dans l’Hexagone”. Outre des raisons géopolitiques, il invoque un argument environnemental aussi inattendu que percutant : “Rien ne changera radicalement tant que nous n’expérimenterons pas, sous nos fenêtres, la totalité du coût de notre bonheur standard.”

La Guerre des métaux rares – La Face cachée de la transition énergétique et numérique, de Guillaume Pitron, éd. Les Liens qui Libèrent

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