Le 5 mai dernier, les juges constitutionnels allemands ont sans doute poussé Angela Merkel dans ses derniers retranchements pro-européens, occasion qu’Emmanuel Macron n’a pas laissé passer.
La Cour constitutionnelle allemande semblait enterrer la politique de la Banque Centrale Européenne. Elle remettait en cause la suprématie du juge européen sur ses pairs nationaux, c’est-à-dire la possibilité pour l’UE de régler ses litiges de manière cohérente et pacifique en acceptant une même règle appliquée partout par une même autorité, la Cour européenne de Justice de Luxembourg.
Cet arrêt venait heurter une Europe fragilisée par une décennie des solidarités introuvables entre « fourmis du Nord et cigales du Sud » puis, depuis la pandémie du Covid-19, par une mise entre parenthèses des libertés les plus fondamentales du Marché Unique. Un arrêt qui laissait cette fois l’Europe sans autre alternative que celle d’une sortie par le haut ou d’un pathétique naufrage.
Le président français et la chancelière allemande ont dévoilé lundi 18 mai une initiative commune pour relancer l’économie européenne, mise à mal par la crise du coronavirus. Parmi les propositions, la création d’un fonds d’endettement européen qui va à l’encontre des traditions budgétaires allemandes.
Vu d’Allemagne, c’est un revirement à 180 degrés de la part du gouvernement fédéral qui considérait que “l’argent emprunté sur les marchés pouvait au mieux être accordé sous forme de prêt et devait être remboursé à court terme.
Cette proposition est une spectaculaire relance du moteur franco-allemand. Elle ne fait pas l’unanimité auprès des vingt-cinq autres chefs d’Etats et de gouvernement. Pour l’Espagne et l’Italie, c’est un pas important dans la bonne direction. Les pays d’Europe de l’Est entendent veiller à ce que cette solidarité nouvelle ne se fasse pas aux dépends des fonds de cohésion dont ils bénéficient largement . Pour les pays du Nord, c’est le scepticisme !
La Présidente de la Commission européenne en proposant un budget européen d’une nouvelle dimension vit son moment de vérité et peut apporter la preuve qu’elle est bien une présidente européenne et pas seulement allemande.
Ainsi mercredi 27 mai, la Commission européenne a mis sur la table un emprunt commun de 750 milliards d’euros pour faire face aux conséquences de la pandémie : 500 milliards seront des subventions directes aux Etats remboursées par le budget européen et 250 milliards seront des prêts remboursés par chaque bénéficiaire.
Pour que les Etats puissent bénéficier de ce programme “hors norme”, la Commission entend ne pas respecter les règles habituelles de proportionnalité selon les pays, mais accorder les financements aux pays les plus touchés par l’épidémie, ceux qui en ont le plus besoin : L’Italie, qui a été la plus exposée, devrait ainsi recevoir 82 milliards d’euros sous forme de subventions et 91 milliards de crédit à taux très bas. L’Espagne, deuxième pays le plus touché par la pandémie en Europe, recevrait 77 milliards d’euros de subventions et 63 milliards de prêts. Pour bénéficier du volet “subventions”, les pays devront présenter un plan d’investissements et de réformes, qui devra être compatible avec les priorités politiques de la Commission européenne comme la transition écologique,
En proposant d’émettre une dette mutualisée, remboursée par des fonds propres à l’UE, la Commission européenne provoque une véritable révolution dans l’histoire communautaire. A tel point que certains spécialistes qualifient ce temps politique de “moment hamiltonien”, référence historique à Alexander Hamilton, qui, en 1790, avait convaincu les tous jeunes États-Unis d’Amérique de créer une dette commune, et de jeter ainsi les bases du fédéralisme américain.
Ainsi, l’arrêt de la Cour de Karlsruhe aura produit un renforcement accéléré de l’intégration européenne, au grand dam des intentions probables des juges allemands.
Il incombe à Charles Michel, le président du Conseil européen, de forger un accord à l’unanimité sur cette base à l’occasion du prochain sommet les 18 et 19 juin.
A partir du 1er juillet, l’Allemagne va présider pendant six mois le Conseil de l’Union européenne. Elle ne peut pas se permettre d’aborder cette fonction si les instances politiques et judiciaires nationales affichent des positions antagonistes sur la monnaie commune et l’avenir même de l’Union européenne. L’Allemagne ne peut se comporter comme un honnête courtier des dispositions des traités mais doit jouer un rôle à la hauteur de son importance économique et des difficultés de l’heure.
Dans la course au vaccin contre le Covid-19, une victoire pour l’Europe serait de mettre au point une nouvelle gouvernance, d’obtenir un niveau élevé de collaboration entre entreprises, laboratoires et gouvernements pour mettre au point un vaccin. Ce serait aussi, pour la commercialisation et la négociation internationale du futur vaccin, de démontrer que la masse critique de près de 500 millions de citoyens fait une différence
Angela Merkel a tous les moyens économiques et financiers de contribuer au redressement. Elle en a aussi les moyens politiques, grâce au regain de popularité que lui a assuré sa gestion de la crise sanitaire. Pendant les six mois de sa présidence, elle peut même s’offrir le luxe d’ouvrir un chantier de réforme des structures politiques !
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