Les citoyens et leur police : Comment bâtir une relation de confiance?

À quoi sert la police ? À maintenir l’ordre public, certes. Mais peut-elle y parvenir si elle n’inspire pas confiance à la population qu’elle est censée protéger ? Les relations entre police et société sont au cœur du dossier que La Vie des Idées consacre aux transformations du travail policier, en France et à l’étranger.

La dégradation des relations entre la police et la société alimente régulièrement la chronique des faits divers. Elle engendre également un sentiment, de plus en plus ouvertement exprimé, de malaise chez les policiers. Le discours de fermeté tenu depuis près de dix ans par les dirigeants politiques français s’est accompagné d’une fragilisation relative de l’institution, désormais incapable d’inspirer confiance et obligée de surenchérir dans la répression pour se faire respecter.

Les années récentes ont ainsi été marquées par une évolution paradoxale dans la manière de percevoir leur travail par les policiers : ils se présentent de plus en plus comme les victimes de l’insécurité, réclamant protection et soutien à leurs autorités de tutelle, alors même qu’ils ont en charge le maintien de l’ordre public. Ce renversement de perspective a des conséquences évidentes sur la conception qu’ils ont de leur métier et sur leur identité socio-professionnelle, notamment lorsqu’ils estiment être insuffisamment soutenus, par la justice et les magistrats, dans l’exercice de leurs fonctions.

L’histoire et les sciences sociales montrent qu’il ne peut y avoir de police efficace sans qu’existe un lien de confiance entre la police et la société, absolument nécessaire à ce que les citoyens considèrent celle-ci comme légitime. Cette place centrale accordée à la confiance, déjà présente dans les travaux du sociologue Dominique Monjardet (qui distinguait la police criminelle de la police de la tranquillité publique), est au cœur du renouveau des études sur la police en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Elle a également inspiré un ensemble de réformes, outre-Manche, destinées à rapprocher la police de la population, à la fois en termes sociologiques (intégration des minorités, pour que le policier ressemble davantage à celui qu’il police) et procéduraux (« coproduction » croissante de la sécurité, par le biais de consultations et de relations de proximité).

A contrario, lorsque dans d’autres pays, comme le Mexique ou le Brésil, l’institution policière et la société entretiennent un rapport de forte extériorité, les affrontements sociaux tendent à se durcir et la régulation à se faire par la violence. La plupart des polices, quel que soit leur modèle, ont connu d’importantes réformes au cours des années 1990-2000.

Ces réformes, inspirées par un souci de manifester l’attachement de l’État à la répression et à l’obtention de résultats, ont-elles seulement pour but de soumettre le travail policier à des impératifs de productivité et de rationalisation ? Ne risquent-elles pas d’aggraver la défiance du policier à l’égard de son institution ? Ou bien sont-elles susceptibles de contribuer à renouer le lien de confiance distendu entre les sociétés et leur police ? Le parti pris de ce dossier est d’observer au ras du sol, de manière ethnographique, les mutations du travail policier engendrées par ces réformes, pour tenter de mesurer l’écart qui sépare les déclarations tonitruantes des promoteurs des politiques de sécurité et les pratiques mises en œuvre par les acteurs de terrain. Les textes réunis, abordant des contextes locaux et nationaux différents, permettent d’envisager la possibilité et les modalités éventuelles de la résistance des policiers à l’évolution de leur rôle, ainsi qu’aux pressions politiques et bureaucratiques dont ils font l’objet.

Au menu du dossier :……….


– Élodie Lemaire, « Itinéraire des plaintes sous contrôle gestionnaire », Conçue à l’origine pour signaler une infraction, la plainte est devenue un outil de gestion et de mesure du travail policier. Fruit d’une enquête de terrain menée dans un commissariat, cet article montre comment les agents tentent, avec plus ou moins de réussite selon leur position dans la hiérarchie, de préserver leur autonomie face aux impératifs de la culture du résultat.

– Quentin Deluermoz, « La “police de proximité”, un projet neuf ? » Sous le second Empire, déjà, une réforme vise à rapprocher les policiers de la population parisienne. Fondée sur les principes de transparence et de circulation, elle met les agents au contact des citoyens, modifiant ainsi les conditions de production de l’ordre public. La légitimité de l’institution policière en sort transformée.

– Ben Bradford et Jonathan Jackson, « Public trust and police legitimacy in Great Britain »  Comment expliquer le fort degré de confiance et de légitimité dont jouit le bobby outre-Manche ? Dans ce remarquable article de synthèse, deux sociologues montrent que la capacité de la police à inspirer confiance est à la fois un gage de son acceptation et de son efficacité. A contrario, une police qui fait peur se prive de la participation des citoyens à la production de l’ordre social.

– Paolo Napoli, « Le juge et le policier », le 7 mars 2011. La liberté de la presse doit-elle être encadrée par la voie judiciaire, ou limitée par des mesures de police ? C’est à cette question que Goethe, poète au service du prince, tente de répondre en 1816. L’historien Paolo Napoli dissèque les arguments d’une controverse qui oppose les mérites respectifs du « flic » et du juge en matière d’ordre public.

– Entretien réalisé par Quentin Deluermoz et Jeanne Moisand avec l’historien Pablo Piccato (Columbia University), « Les petits arrangements de la police mexicaine » « Comment pourrait-on s’arranger ? » demande toujours le policier mexicain à celui qu’il arrête. Sur fond de « guerre » aux narcotrafiquants et de montée des violences, le fossé entre police et société mexicaines se creuse gravement. L’historien Pablo Piccato analyse les facteurs historiques et géopolitiques qui expliquent pourquoi la police suscite tant de méfiance au Mexique.

– Cédric Moreau de Bellaing, « Ouvrir les dossiers de la violence légitime » Le sociologue prenant pour objet l’usage de la force par la police se trouve face à un obstacle de taille : comment traiter d’un objet qui se laisse tout à la fois rarement et difficilement observer ? Cédric Moreau de Bellaing présente les enjeux théoriques de l’enquête qu’il a consacrée aux plaintes pour violences policières adressées à l’Inspection générale des services

– Vivian Ferreira Paes, « Quand la police fait le crime. Une analyse sociologique du cas brésilien » Connue pour la violence de ses interventions, la police de Rio de Janeiro se caractérise depuis longtemps par un manque de crédibilité et d’efficacité. Les citoyens ne sont guère incités à s’adresser à elle pour porter plainte si bien que les actes criminels sont sous-déclarés et la régulation des conflits peu institutionnalisée. 

– Yann Philippe sur les réformes de la police aux Etats-Unis : D’une police communautaire à une police bureaucratique : Ordre public et démocratie à New York au tournant du XXe siècle Comment réformer la police pour mettre un terme à la corruption et au localisme sans couper le lien avec les citoyens, ni perdre en légitimité ? Tel est le dilemme auquel la municipalité new-yorkaise fut confrontée au début du XXe siècle, avant d’éclairer la mise en œuvre du « community policing » dans les années 1970-1990.

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