Hélène Fontanaud, journaliste politique à "La Tribune", a imaginé en quatre épisodes les événements qui pourraient se produire en octobre 2011, avant l'ouverture de la campagne présidentielle de 2012.
Je les soumets à votre lecture, distrayante pour ce week end. Bien sur cette politique fiction ne m'engage en rien…
Le roman de 2012 : Octobre gris pour DSK…..
Dimanche 9 octobre 2011. Dominique Strauss-Kahn leva la tête. Le ciel de Paris s'assombrissait et il n'était même pas midi. « On dirait la fin du monde », se dit l'ancien directeur général du FMI, avant de s'abriter sous les arcades de la place des Vosges. Il tenait à la main « Le Journal du dimanche ». La une était barrée d'un titre unique – « Primary Colors » – avec une mosaïque de photos des prétendants à l'investiture socialiste. Un clin d'oeil au champion venu d'Amérique. Mais DSK trouvait le trait un peu épais, le coup de pouce un peu voyant. Partout en France, des bureaux de vote avaient éclos à 8 heures et, selon les décomptes nerveusement fournis par Jean-Christophe Cambadélis, la participation était importante pour ce premier tour des primaires. Ce qui ne veut strictement rien dire, pesta l'ancien ministre de Lionel Jospin, en époussetant sa veste. Le candidat malheureux de 2002 l'avait appelé le matin même et DSK n'en avait pas été revigoré pour autant. Il y avait même vu le premier présage funeste d'une longue journée. Dans la foulée, il avait renversé du café sur son iPad et avait loupé une marche dans l'escalier. Il était donc sorti à pas de loup, et s'apprêtait à regagner son appartement avant que le déluge en formation ne crève les nuages. Quand il franchit la porte, toujours prudemment, Anne Sinclair lui tendit le téléphone : « C'est Martine… » Même jour mais un peu plus tard. À Boulogne. Ségolène Royal chantonnait un air de Julien Clerc en disposant des roses rouges dans un vase. Elle piqua quelques anémones dans le bouquet éclatant. Son téléphone portable vibrait sans discontinuer sur la console de l'entrée mais la présidente de Poitou-Charentes s'accordait encore quelques minutes de pause avant de « plonger dans le chaudron ». Après tout, cela faisait plus de quatre ans qu'elle attendait ce moment. Elle n'était plus si pressée. D'énormes gouttes de pluie s'écrasaient sur la baie vitrée qui donnait sur le jardin noyé dans l'obscurité. Ségolène Royal rejoignit ses plus proches collaborateurs qui patientaient sur les canapés du salon, en blaguant. Les premiers chiffres étaient surprenants. Mais bons.
Mercredi 12 octobre. Le débat télévisé entre les trois finalistes des primaires socialistes débutait dans une heure à peine. Sans surprise, TF1 avait raflé le marché. Arnaud Montebourg, arrivé en retard rue de Solferino, rejoignit Martine Aubry dans son bureau. Tout le staff de la première secrétaire était déjà installé devant un vaste écran plat. Les journalistes étaient cantonnés dans une tente dressée dans la cour mais, pour l'instant, ils n'étaient pas nombreux, préférant sans doute le studio télé où devait avoir lieu l'ultime confrontation entre Dominique Strauss-Kahn, Ségolène Royal et François Hollande. Martine Aubry était souriante. Un sondage à paraître le lendemain dans « Le Parisien » donnait une avance presque confortable à DSK. Le premier tour – un million d'électeurs quand même ! Ce qui faisait paradoxalement le bonheur d'Arnaud Montebourg, sèchement éliminé – avait pourtant fait l'effet d'un coup de tonnerre. Ségolène Royal était arrivée en tête, avec 36 % des voix, devant l'ex-patron du FMI, qui s'était retrouvé à égalité stricte avec François Hollande, chacun ayant réuni 28 % des voix. Les autres candidats s'étaient partagé les 8 % restants… Benoît Hamon, le porte-parole du parti, fit son entrée, un plateau de sandwichs dans les bras. Au même moment, Dominique Strauss-Kahn patientait dans un lourd fauteuil de cuir tandis que la maquilleuse faisait voleter son pinceau. À ses côtés, François Hollande pianotait sur son téléphone en attendant son tour. « T'as vu, je suis passé devant toi, c'est un signe non ? » plaisanta DSK. « On ne fait pas de la téléréalité ! » répliqua le député de Corrèze, rieur. « Et Ségolène, elle est où ? » demanda l'ancien directeur général du FMI. « À côté, répondit doucement François Hollande, elle est déjà prête. »
Dimanche 16 octobre. Claude Bartolone fronça les sourcils. La foule massée devant la rue de Solferino était apparemment hostile. Le président du conseil général de Seine-Saint-Denis remonta le col de son manteau et s'avança vers le groupe le plus compact, qui empêchait toute entrée ou sortie du siège du Parti socialiste. Un jeune, cagoule violet vif, enfoncée sur la tête, l'interpella : « Faites les choses dans les règles cette fois ! Ne volez pas la victoire ! » Les premières « sorties des urnes » étaient disponibles depuis quelques minutes. Claude Bartolone réussit à négocier son passage. Dans l'escalier qui menait au bureau de la première secrétaire, il croisa Jean-Christophe Cambadélis, long manteau noir et mine lugubre. « Tu y crois, toi ? » lança Claude Bartolone. « C'est un cauchemar », répondit le député strauss-kahnien. Une voix de femme les fit s'interrompre. À l'étage, Martine Aubry s'accouda à la rampe : « Alors la carpe et le lapin, on est mal ? » Les deux compères, qui avaient porté la maire de Lille à la tête du PS en novembre 2008, se regardèrent, interloqués. « On dirait que ça te fait plaisir ! » s'exclama Jean-Christophe Cambadélis. « Non, mais je ne vais pas pleurer non plus », rigola la première secrétaire. Une ombre se glissa derrière « Barto » et « Camba ». Laurent Fabius, puisque c'était lui, était en proie à une colère froide. Et même glacée. « On a vraiment choisi le mauvais cheval. Tu aurais dû y aller Martine. » « Il fallait le dire à Dominique ! » riposta la maire de Lille. « Je me suis sentie un peu seule en juillet quand j'ai essayé de lui expliquer que le retour serait compliqué ! Aucun d'entre vous n'a pris le Marrakech Express pour aller lui mettre les points sur les ?i? ! » Laurent Fabius était blême : « Tu sais ce qui se dit Martine ? Que tu as négocié avec Ségolène sur le dos de Dominique ! » « Tout le monde a négocié avec tout le monde ! Dominique et Ségolène, Ségolène et François, François et Dominique, tout le monde », explosa Martine Aubry. « Et puis, ça suffit maintenant, c'est terminé ! » Sous les lampions multicolores de la salle de restaurant où ses fidèles s'étaient réunis dès la fin de l'après-midi, Ségolène Royal restait songeuse. Les confettis jetés à son arrivée jonchaient le sol. Elle avait eu Dominique Strauss-Kahn au téléphone, brièvement, et François Hollande, plus longuement. Les télévisions retransmettaient en boucle les déclarations des ténors du PS. Pas un bémol, pas une fausse note. Un journaliste campé devant l'Élysée annonça que Nicolas Sarkozy avait sabré le champagne en apprenant que son adversaire de 2012 serait celle de 2007. Des sifflets accueillirent le reportage. La bataille commençait.
Le roman de 2012 : Octobre rose pour Nicolas Sarkozy
Lundi 17 octobre 2011. À bord d'Air Sarko One… Le président de la République n'arrivait pas à comprendre pourquoi l'ombre de l'Airbus A330, idiotement surnommé « Air Sarko One » par ces imbéciles de journalistes, paraissait si petite dans les nuages qui s'étalaient sous la carlingue. En plus, il avait mal dormi. La chambre aménagée à l'avant de l'appareil offrait toutes les apparences du confort moderne « mais, permettez-moi de vous le dire, avait glissé Nicolas Sarkozy au pilote, dans les turbulences, on n'est pas mieux qu'en classe éco ! » Le chef de l'État rejoignit, bougon, le salon-bureau attenant. Henri Guaino était déjà confortablement installé, émiettant des croissants sur un plateau. Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy arborait un sourire satisfait, la main droite posée sur les quotidiens et magazines qu'il venait d'éplucher. « L'appel des députés à Fillon a fait flop ! » s'exclama-t-il en agitant sa viennoiserie sous le nez du président qui se renfrogna un peu plus car ce genre d'écart lui était interdit. « Et ça étonne qui ? » grogna Nicolas Sarkozy. « J'ai bien noté les noms de ces trente-deux abrutis, je verrai avec Copé comment on va les récompenser dans les investitures aux législatives… » Henri Guaino se replongea dans la lecture du « Figaro ». « Fillon les a déjà désavoués… Je me demande quand même ce qu'ils ont en tête. » « Ils ont en tête de m'emm… », explosa Nicolas Sarkozy. « Ce n'est pas parce que les guignols d'en face se sont laissés ligoter dans leurs primaires à la noix qu'on va organiser une petite compétition fraternelle à l'UMP. J'ai déjà dit non aux primaires ! Et puis je le battrai Fillon et il n'aime pas ça, se battre et se faire battre ! » Henri Guaino ouvrit « Libération ». Un sondage LH2 indiquait un nouveau fléchissement de la cote du chef de l'État, après le mieux du printemps et le calme estival. L'avion piqua soudain du nez. Nicolas Sarkozy grimaça : « Ah voilà qui pourrait satisfaire tout le monde, que je m'écrase ! » « Ce n'est pas dans votre nature », susurra Henri Guaino. La voix du pilote leur parvint, quelque peu désincarnée : « Nous avons traversé un trou d'air mais le stabilisateur de vol est opérationnel. » Nicolas Sarkozy attrapa un croissant : « Je vais vous dire quelque chose, moi, si ces crétins veulent un autre candidat, je vais leur dire que c'est d'accord. Me lever à pas d'heure, me faire trimbaler dans des avions qui tremblent comme des parkinsoniens, écouter les leçons d'économie de la Merkel, rigoler aux blagues débiles de Berlusconi, ça commence à bien faire ! Et puis je vais avoir une fille, Henri, et ça, c'est le plus important ! » Le conseiller spécial extirpa de la pile de journaux l'hebdomadaire people « Gala », qui proclamait sur toute sa une : « Carla offre une princesse à Nicolas. »
Mercredi 19 octobre. Siège de l'UMP. Jean-François Copé jeta un regard qu'il espérait le plus dépassionné possible aux membres du bureau politique. Christian Estrosi et Dominique Bussereau étaient plongés dans une discussion animée sur Ségolène Royal. Le secrétaire général de l'UMP se cala dans son fauteuil avec un petit sourire. Les dernières escarmouches entre le camp du président et les partisans d'une candidature de François Fillon faisaient son miel. Il apparaissait plus que jamais au point d'équilibre de la majorité. La rentrée parlementaire s'était déroulée selon le plan prévu : une véritable campagne de bombardements massifs, avec dépôt de propositions de loi sur les 35 heures, le retour de la discipline à l'école, l'organisation d'un débat sur l'identité nationale en classe de terminale… En plus, les députés du PS qui couraient la province pour les primaires brillaient par leur absence. Il y avait toutefois un point noir : l'impopularité persistante de Nicolas Sarkozy. Rien n'y avait fait. Ni la timide décrue du chômage, ni le « plan dépendance pour nos anciens », ni même la réussite, en mai, du sommet du G8-G20 à Deauville, où Barack et Michelle Obama s'étaient illustrés devant les caméras des télévisions du monde entier en rejouant pour le plaisir la scène mythique du film « Un homme et une femme » sur la plage de la cité normande. Quant à la réforme fiscale, elle avait sans surprise engendré autant de satisfaits que de mécontents. On est en France, soupira intérieurement le député-maire de Meaux… Et 2012 n'aurait rien à voir avec 2007, avec ce « storytelling » réglé comme du papier à musique. Il fallait inventer.
Dimanche 23 octobre. Palais de l'Élysée. Bruno Le Maire s'amusait à reconnaître dans les dédales de l'Élysée la marque des hôtes précédents du palais présidentiel. Un tableau laissé par François Mitterrand, une statuette abandonnée par Jacques Chirac… Mais aujourd'hui, pas le temps. Le ministre de l'Agriculture gravit sans peine les marches de l'escalier de marbre. Nicolas Sarkozy l'attendait dans le vestibule, la mine soucieuse. Il brandit devant son jeune ministre une pile de feuillets quadrillés : « On perd de tous les côtés, on est comme le ?Titanic? ! » Bruno Le Maire indiqua courtoisement deux fauteuils. Chargé de l'élaboration du projet présidentiel pour 2012, l'ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon savait que les vieilles rancoeurs, mêlées aux nouvelles (n'était-il pas l'un des proches de Jean-François Copé ?), pouvaient rapidement faire surface. Comme un iceberg, songea-t-il, filant la métaphore naufrageuse. « On est dans une phase normale, souligna-t-il, captant l'attention du président, la volonté de réformer jusqu'au dernier jour a un prix. Mais c'est à l'heure H, c'est-à-dire en mars au plus tôt, que se fera la cristallisation. Et là il y aura une offensive, bien préparée, sur deux fronts. Le bilan – on mettra justement en lumière le courage du réformateur – et le projet, sur lequel, je vous le redis, nous n'aurons aucun tabou. Protection des Français mais modernisation du pays. » Nicolas Sarkozy fourragea dans ses papiers : « Mais tout de même, Marine Le Pen à 20 %, Mélenchon à 10 %, les écolos à 15 %, ça ne me laisse pas grand-chose. » « Cela ne laisse pas grand-chose non plus au candidat socialiste », sourit Bruno Le Maire. « Si vous croyez que ça me rassure ! » explosa le chef de l'État tandis que le juvénile ministre vit en pensée s'ouvrir les flots noirs de l'Atlantique Nord. Nicolas Sarkozy ferma les yeux : « Je suis fatigué, j'ai l'impression que personne ne comprend la difficulté de la tâche. En 2007, je voulais vraiment gagner… Là, je ne sais plus… »
Le roman de 2012 : octobre brun pour Marine Le Pen
Mercredi 26 octobre. Marine Le Pen savourait tous ces petits moments médiatiques. Une forêt amazonienne de caméras, une nuée de micros et une foule de journalistes l'attendaient à l'issue du bureau national du FN. Vêtue du strict tailleur bleu nuit qu'elle s'imposait dans sa campagne présidentielle, elle entama sa conférence de presse par une longue digression sur "l'incurie du pouvoir" face à une panne d'électricité qui avait privé l'Alsace de courant et de chauffage pendant plusieurs heures un samedi soir. "Évidemment, railla-t-elle, Strasbourg n'a pas été touchée et que des petits villages sombrent dans la nuit, c'est un peu dans la logique de la politique suivie depuis maintenant trente ans, cette politique qui consiste à laisser mourir nos campagnes et nos paysans… " Un de ces curieux journalistes constamment équipés de petites caméras légères se leva : "Madame Le Pen… " "Oui, c'est mon nom", lança la présidente du FN. "Des informations non confirmées… " "Qui ne sont donc pas des informations", asséna Marine Le Pen. Le reporter s'enhardit : "C'est bien pour cela que je vous pose la question ! Avez-vous oui ou non rencontré Nicolas Sarkozy ?" La dirigeante d'extrême droite arbora un large sourire : "Mais plusieurs fois, mon jeune ami ! Pourquoi, vous jamais ?" "Dans quelles circonstances ?" "Quand et où ?" "Avez-vous conclu un accord pour le second tour de l'élection présidentielle ?" Les questions fusaient… Marine Le Pen ramena le calme, les deux mains levées : "Pas tous en même temps, j'ai déjà rencontré Nicolas Sarkozy, oui. Mais de là à imaginer que le Front national, dont le devoir historique, la mission sacrée, est le redressement de la France, va accepter de se lancer dans des petits calculs d'appareils politiques, pour se ménager des sièges de députés ou même des ministères, c'est mal, c'est très mal me connaître. Je fais aujourd'hui le pari, non seulement d'être présente au second tour de l'élection présidentielle, mais d'être en tête au premier tour. C'est autour du salut national, autour du rétablissement des valeurs d'ordre et de sécurité, que se fera la sortie de cette crise que nous ont imposée des décennies de gabegie financière et de politique immigrationniste." Marine Le Pen reprit son souffle. Un texto clignotait sur l'écran de son portable. "N'en fais pas trop ! Le Pen." "Merci Dark Vador", pensa-t-elle avec affection.
Vendredi 28 octobre. François Fillon courait à petites foulées. Le parc de Matignon sentait la terre humide et l'herbe coupée. Des gendarmes postés sur les murs entourant le plus beau – mais aussi le plus secret – des jardins de Paris tapaient dans leurs gants pour se réchauffer. Le Premier ministre s'arrêta au pied de l'orme de Lutèce que Lionel Jospin avait fait planter lors de son long passage rue de Varenne. L'arbre avait été malade, à l'image du Parti socialiste français, songea le chef du gouvernement, qui avait mal dormi après le débat qui l'avait opposé la veille à François Hollande sur France 2. Plutôt bien remis de sa défaite aux primaires, le député de Corrèze avait littéralement taillé en pièces tous les arguments de François Fillon. Le Premier ministre soupira, le point de côté était lancinant. Son téléphone sonna. C'était Nicolas Sarkozy. La voix n'était pas bonne, l'humeur non plus : "J'ai eu Villepin… C'est cuit. Il veut y aller." "En même temps Nicolas, on s'y attendait, non ? Mais il ne fera pas beaucoup de voix, on l'a asphyxié, littéralement étouffé en lui prenant ses derniers grognards." François Fillon sourit en pensant au titre de "Libération", au lendemain de l'arrivée de Jacques Le Guen et François Goulard au gouvernement, en septembre : "Villepin : et maintenant sainte Hélène ?" Nicolas Sarkozy toussota : "Oui, bon, c'est peut-être vrai mais ça s'agite de tous les côtés, et Marine Le Pen, Marine Le Pen…" "Eh bien ?" s'inquiéta François Fillon. "Eh bien, elle veut nous faire la peau, j'ai bien compris son calcul, elle veut un 21 avril à l'endroit et à l'envers, elle nous tricote patiemment son affaire, la fille à Le Pen, son rêve, c'est de tout faire péter et, si des crétins comme Villepin, Borloo, Hulot se mettent de la partie, eh bien j'irai à la pêche avec Ségolène Royal en juin, tiens ! Je vais même finir par la trouver sympathique la dame du Poitou ! Parce que l'autre fille à papa, merci hein !"
Dimanche 30 octobre. Les feuilles mortes crissaient sous les pas. Le givre disparaissait peu à peu, conférant un éclat automnal au jardin anglais du domaine de Rambouillet. Devant la chaumière aux coquillages, deux officiers de sécurité avaient pris place, lunettes de soleil et oreillettes de rigueur. Le grésillement des ordres qui leur étaient donnés parvenait jusqu'à Marine Le Pen, qui ne s'impatientait pas pour autant. "On doit aller à la laiterie de la Reine", lâcha un des Cerbère. "Mais Madame Bruni-Sarkozy n'a pas encore accouché !" plaisanta la présidente du Front national. Elle nota que les policiers s'étaient détournés pour ne pas afficher une quelconque réaction. Marine Le Pen haussa les épaules et suivit docilement ses guides. Devant le pavillon royal, le moteur d'une longue voiture sombre tournait. La portière s'ouvrit quand la dirigeante d'extrême droite s'approcha. Nicolas Sarkozy, mine renfrognée, s'extirpa avec une difficulté certaine du véhicule. "Un problème ?" s'enquit Marine Le Pen, pourtant totalement indifférente. "Un lumbago, grimaça le chef de l'État. On dirait que j'en ai plein le dos… Bon allons-y !" Le musée avait été fermé, sur ordre élyséen. Marine Le Pen s'immobilisa devant la sculpture "Amalthée et la Nymphe". "C'est étrange que vous m'ayez donné rendez-vous dans une des résidences de Marie-Antoinette", sourit-elle. "Si ça vous amuse de faire des comparaisons, souvenez-vous que ceux qui ont guillotiné Louis XVI et la reine ont fini eux aussi la tête tranchée !" répliqua Nicolas Sarkozy. "Je vous trouve bien vindicatif", reprit la présidente du FN. "Passons plutôt aux choses sérieuses. Je vous le dis tout de go : il n'y aura pas d'accord, même en sous-main, pas même de message codé avant le premier tour de l'élection. C'est après le premier tour qu'éventuellement nous discuterons." "Et de quoi bon Dieu ? s'emporta Nicolas Sarkozy, j'ai besoin de savoir maintenant quelles sont vos intentions." "Mes intentions ?" Marine Le Pen faillit s'étrangler de rire : "Mes intentions ? Mais elles sont très simples : je veux le pouvoir. Le pouvoir, c'est tout." Ses propos résonnèrent métalliquement dans le salon de marbre désespérément froid et vide.
Le roman politique de 2012 : à la recherche d'octobre rouge
Samedi 5 novembre La nuit tombait sur le tarmac désert. Les pales des hélicoptères stationnés devant les hangars ressemblaient à des sabres géants, abandonnés par leurs samouraïs. Dans la tour de contrôle de la base aérienne 107 de Villacoublay, les officiers de permanence suivaient sur les écrans la flèche de l'Airbus du chef de l'État, qui devait se poser à Roissy. Une télévision allumée rediffusait pour la cinquième ou sixième fois la conférence de presse finale du sommet européen. On voyait Nicolas Sarkozy, personnage sombre et muet – le son était coupé – agiter les mains face aux journalistes. Les échanges radio s'intensifièrent lorsque le commandant de bord de l'avion présidentiel signifia aux contrôleurs civils et militaires la sortie du train d'atterrissage et la présence sur les pistes de l'aéroport Charles-de-Gaulle d'un brouillard en formation. Un des pilotes du Gaël (l'escadron dédié au transport des personnalités politiques) fit son entrée dans la salle : « D'ici une heure, on n'y verra plus rien, une vraie purée de pois. Où sont les autres ? » Le Falcon 900 transportant plusieurs ministres, eux aussi de retour de Bruxelles, était signalé en approche, comme l'Airbus quelques minutes plus tôt. Mais il devait se poser à Villacoublay. Les hommes du soutien opérationnel jaillirent hors des hangars tandis que des projecteurs puissants commencèrent à balayer la piste grisâtre dans l'obscurité. Soudain, un des contrôleurs poussa un cri étranglé : « J'ai perdu le contact radar. » Ses collègues, incrédules, scrutèrent l'écran où de petits points verts se juxtaposaient. En quelques minutes, l'incroyable s'était produit. Impossible d'entrer en contact avec le petit avion, qui semblait s'être volatilisé. Aussitôt prévenu, le commandant de la base 107 réunit tous les militaires présents et leur ordonna de garder le silence. Puis il se décida à appeler l'Élysée.
Dimanche 6 novembre En presque cinq ans de mandat, Nicolas Sarkozy avait pris l'habitude de ces journées routinières qui tournent brutalement au cauchemar. Il ne s'était jamais autant ennuyé à un sommet européen et le retour vers Paris avait été divin. Il avait embarqué Christine Lagarde dans son avion parce qu'elle le faisait rire. Et donc ils avaient bien ri, aux dépens notamment de la chancelière Angela Merkel. À son retour à l'Élysée, il avait vu avec plaisir que son fils Louis, de passage à Paris, l'attendait sagement dans son bureau. Mais le bonheur avait été éphémère. Les portes s'étaient ouvertes sur un Claude Guéant livide, qui avait annoncé que l'avion de ses ministres avait cessé d'être une réalité sur les écrans radars. Nicolas Sarkozy sentait monter la migraine. Sitôt connu le drame, des dispositions avaient été prises pour « sécuriser » la famille du chef de l'État. Le plan Vigipirate avait été élevé au niveau écarlate. François Fillon et Alain Juppé avaient rejoint Nicolas Sarkozy à l'Élysée pour la première d'une longue série de réunions de crise. Le « black-out » pour la presse était total. Le sommet du G20 avait lieu dans quinze jours à Cannes. D'ici là, il y avait des Conseils des ministres. Les absents allaient être remarqués, à commencer par la ministre des Affaires étrangères. Nicolas Sarkozy se massa doucement les tempes. Il lui faudrait parler sous peu. Une intervention solennelle à la télévision. Pas moins. Mais pour dire quoi ? Qu'un avion rempli de ministres avait disparu, sans qu'on sache s'il avait explosé – on n'avait retrouvé aucun débris dans le périmètre fouillé avec minutie par des centaines de militaires et gendarmes – ou s'il avait été détourné – mais vers où, bon sang ? Le président regarda par la fenêtre le parc de l'Élysée où s'immobilisait une Laguna gris métal. Ségolène Royal sortit de la voiture. « Elle ne va jamais me croire », se dit Nicolas Sarkozy…
Lundi 7 novembre Depuis qu'un communiqué de l'Élysée avait annoncé à l'aube l'évaporation de l'aéronef ministériel, puis la récupération de ses passagers dans le sud de l'Espagne, la planète politique et médiatique était en surchauffe. « Un avion ne disparaît pas comme ça dans le ciel français. Surtout un avion officiel », avait asséné sur France Inter l'ancien chef d'état-major des armées de François Mitterrand, Jacques Lanxade. « Ils auraient dû tous s'évaporer dans l'atmosphère », avait lâché Marine Le Pen. « Mais il n'est pas trop tard. Monsieur Sarkozy aussi devrait jouer la fille de l'air. Après tout, ça nous rappelle un peu le général de Gaulle s'envolant pour Baden-Baden en plein Mai 68 ! » Assis à son bureau, François Fillon était épuisé. En face de lui, Dominique de Villepin attendait. Le Premier ministre et son prédécesseur avaient eu des contacts plutôt rugueux ces dernières années. Mais le fait que Bruno Le Maire, ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin, ait fait partie des ministres brièvement manquants avait fait tomber les barrières. Le téléphone qui reliait de jour comme de nuit Matignon à l'Élysée vibra sur son support. François Fillon décrocha. Il tendit le combiné à Dominique de Villepin, qui inclina sa silhouette longiligne. L'échange dura quelques minutes. « Bien entendu », répondit l'ancien chef de gouvernement de Jacques Chirac, avant de raccrocher. Dominique de Villepin se tourna vers François Fillon : « C'est tout simplement une histoire de cornecul ! Pourquoi diable enlever nos ministres si c'est pour les lâcher ensuite en pleine pampa andalouse ? » « Il semble qu'il y ait eu méprise, toussota le Premier ministre, ils pensaient que c'était l'avion du président. » « Oui, mais alors, ils auraient dû se servir de leurs prisonniers comme d'une monnaie d'échange », rétorqua Dominique de Villepin. « Il semble qu'il y ait eu des désaccords au sein du groupe », précisa François Fillon. Son interlocuteur plissa les yeux : « Ce n'est pas un de vos coups fourrés, j'espère ! Vous n'espérez pas acheter ma solidarité en inventant je ne sais quelle épopée avec Le Maire ? » « Non, s'indigna le Premier ministre, mais c'est vrai que tout ça montre le côté dérisoire de nos joutes politiciennes. C'est vrai, pendant vingt-quatre heures, tout le monde a joué le jeu, majorité, opposition, francs-tireurs, électrons libres, tout le monde était soudé. » « Oui, eh bien, ne rêvez pas trop, sourit Dominique de Villepin, la partie ne fait que commencer… »
À suivre. Hélène Fontanaud, journaliste à La Tribune – Janvier 2011
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