Le peuple a-t-il perdu le pouvoir ?

Y aurait-il péril en la démocratie ? Les Français, cet hiver, en semblent en tout cas convaincus. Tel est l'enseignement éloquent du sondage exclusif Philosophie magazine/TNS-Sofres : un Français sur deux estime en effet que la démocratie a reculé ces dix dernières années, là où seulement un sur cent pense qu'elle a progressé ! Et de fait, constate le philosophe Jacques Rancière, tout se passe désormais comme si une élite avait confisqué au peuple les manettes du pouvoir.

Mais à qui la faute ? Aux élus devenus indifférents au bien commun ? Aux citoyens qui, par inactivisme, vident le régime de sa substance ? Ou à l'idéologie des Lumières qui, par une étrange ruse de la raison éclairée, a métamorphosé la scène politique en un théâtre parodique, comme l'analyse Jean-Claude Milner ? Rappelons-nous donc que l'histoire démocratique, d'Athènes à New Delhi, est une épopée riche d'inventives embardées populaires : ainsi, peut-être, ferons-nous mentir le soupçon d'inefficacité qui, depuis Platon, pèse sur l'idée du « pouvoir par le peuple».

Moralité ? Moralité, voter à intervalle régulier ne suffit pas, nous dit dans un billet très lucide, Audrey Pulvar! Il nous faut, comme sur les marchés dont nous dénonçons tous les jours les dérives, il nous faut «prendre une participation» dans l’organisation de la Cité… au sens grec du terme.

6 articles composent ce très intéressant dossier de Philosophie magazine   à découvrir ci après :

 

Le peuple a-t-il perdu le pouvoir ? Par Alexandre Lacroix Tous les observateurs politiques et la plupart des philosophes vous le diront  : la démocratie, entendue au sens le plus littéral du terme comme le gouvernement direct du peuple, est chose impossible, tout simplement irréalisable. Comment pourrions-nous associer à chacune des décisions collectives devant être prises en une seule journée la totalité des quelque 65 millions de citoyens français ? C'est là un rêve vain, l'application n'est pas encore disponible sur iPhone et, en attendant, force est de bricoler des institutions peu ou prou démocratiques, d'accepter un compromis.

« Nos gouvernements sont oligarchiques » Le philosophe Jacques Rancière n'a eu de cesse d'explorer toutes les facettes de l'idée d'égalité. La démocratie, à ses yeux, c'est d'abord la négation de l'idée que certains citoyens seraient plus compétents que d'autres pour gouverner. On est très loin, nous dit-il, du principe du pouvoir au peuple, le pouvoir de tous. C’est une oligarchie composée de professionnels de la politique, de plus en plus liés au monde de la finance, se mettant eux-mêmes dans la main d’experts en tout, qui dirige nos pays dits démocratiques.

Le jour de choir est arrivé, Par Michel Eltchaninoff . Indifférence, captation du pouvoir par quelques-uns, fossilisation républicaine : le coeur des citoyens français bat-il encore pour leur démocratie ? Une seule certitude, la réanimer réclame une véritable prise de participation. Est-il trop tard ? La France a-t-elle rejoint, sans que nul ne s'en aperçoive, le club des post-démocraties ? C'est par ce néologisme cafardeux que des politologues et sociologues désignent nos régimes occidentaux fatigués d'eux-mêmes. Contrairement à ce qui se passe dans une dictature ou un régime autoritaire, les dirigeants d'une post-démocratie sont choisis par le peuple lors d'élections libres et sans fraudes. Les partis d'opposition s'expriment et l'alternance a lieu. L'État de droit est globalement respecté et les médias sont dans l'ensemble indépendants. Et pourtant, plus grand monde n'y croit, et de moins en moins de personnes y participent. Un sourd sentiment de trahison domine, mais il n'est suivi d'aucune action, à part quelques épisodes de protestation ou d'irritation. La France est-elle devenue une RIO, une République indifférente et oligarchique ?

Deux mille ans de combat par Martin Legros De Solon à Julian Assange en passant par Machiavel, la démocratie est une invention au (très) long cours. Mais qui régulièrement connaît de brusques moments d'accélération. Visite guidée des cités où elle s'est inventée.

C'est la faute à Platon ! Par Michel Eltchaninoff Platon est un précieux adversaire de la démocratie : les fragilités qu'il pointait il y a 2 500 ans sont plus que jamais actuelles. Mais en jetant la lumière sur les mauvais penchants de ce régime, il nous permet de comprendre comment nous pouvons consolider le pouvoir du peuple.

La démocratie est elle autre chose qu'un fantasme? : Propos recueillis par Alexandre Lacroix Ancien maoïste devenu un analyste alerte et précis des dérives de l'idéologie égalitaire et de l'universel des Lumières,Jean-Claude Milner critique notre ère politique là où ça fait mal : une propension à la parodie sans pouvoir. Érudite et paradoxale, l’ œuvre de Milner explore les zones d'ombre de la pensée politique occidentale. Dans Les Penchants meurtriers de l'Europe démocratique (Verdier, 2003), l'auteur s'interrogeait sur les rapports conflictuels entre l'universalisme des Lumières et le « problème » juif. Pour une politique des êtres parlants (Verdier), qui vient de paraître, raconte comment la politique moderne s'est métamorphosée en une vaste pièce de théâtre.

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