Majorité qualifiée ou vote à l’unanimité , pour accélérer la prise de décision en matière sociale !

Dans une récente communication, la Commission européenne appelle à renoncer à la prise de décision à l’unanimité des Etats membres dans plusieurs domaines clés, aujourd’hui de rigueur : non-discrimination, sécurité sociale et protection des travailleurs. La proposition formulée aux différentes instances, notamment au Parlement européen, est de construire un autre modèle s’appuyant sur la majorité qualifiée, impliquant une approbation de 55 % des Etats membres représentant au moins 65 % de la population européenne, afin d’augmenter la capacité d’action de l’Europe dans ces domaines.

Pourquoi l’Union a-t-elle besoin d’un processus décisionnel plus efficace en matière de politique sociale?

En ces temps de mutations rapides, et parfois fondamentales, il est plus important que jamais que l’Union européenne puisse, aux côtés des États membres, apporter promptement des réponses stratégiques. Dans son discours sur l’état de l’Union de septembre 2018, Jean-Claude Juncker a déclaré que le moment était venu de passer en revue le cadre décisionnel de l’Union, tel qu’établi dans les traités pour différents grands domaines d’action, afin de s’assurer que celle-ci peut utiliser tous les outils mis à sa disposition et en maximiser la valeur ajoutée.

La grande majorité des décisions de l’Union en matière de politique sociale sont adoptées à la majorité qualifiée et conformément à la procédure législative ordinaire.

Cela a permis à l’Union européenne d’élaborer un corps de règles consistant (un acquis social) allant de l’égalité entre les femmes et les hommes jusqu’à l’information et la consultation des travailleurs, en passant par la santé et la sécurité au travail, la mobilité des travailleurs, les droits des travailleurs détachés et les conditions de travail.

Toutefois, dans certains domaines de la politique sociale, les décisions doivent être prises par le Conseil statuant à l’unanimité, le Parlement européen n’étant souvent que consulté. Dans ces cas spécifiques, la prise de décisions à l’unanimité, d’une part, et la combinaison de différentes règles de vote dans le même domaine d’action, d’autre part, ont engendré des déséquilibres dans le développement de l’acquis de la politique sociale. Même si les normes de protection sont élevées dans l’ensemble, des écarts subsistent parfois.

Le vote à la majorité qualifiée repose sur une culture du compromis et favorise des solutions reflétant les intérêts de l’Union dans son ensemble. Ce processus décisionnel souple, efficace et rapide a permis à l’Union de devenir un modèle et une référence mondiale dans des domaines d’action tels que la santé et la sécurité au travail. La prise de décisions à la majorité qualifiée peut agir comme un puissant catalyseur pour inciter les États membres à trouver des solutions acceptables pour tous. Le vote à l’unanimité ne comporte pas de telles incitations puisque sa principale caractéristique est qu’en réalité, chaque État membre dispose d’un droit de veto, d’où un risque accru de voir le processus décisionnel gravement ralenti.

Enfin, dans les domaines de la politique sociale encore soumis au vote à l’unanimité, le Parlement européen n’a pas un rôle égal et influent de codécideur. Cependant, de manière générale, et d’autant plus dans le domaine de la politique sociale, les arguments plaident en faveur d’un rôle accru du Parlement européen. Les membres du Parlement européen représentent les citoyens, lesquels sont les bénéficiaires directs de la politique sociale de l’Union et devraient avoir leur mot à dire dans l’élaboration de celle-ci, par l’intermédiaire de leurs représentants élus.

Que propose la Commission pour rendre la prise de décision en matière de politique sociale plus efficace ?

Dans sa communication, la Commission engage le débat sur la possibilité d’un recours accru au vote à la majorité qualifiée et à la procédure législative ordinaire dans le domaine de la politique sociale. Au fil des modifications apportées aux traités, les États membres ont progressivement étendu le vote à la majorité qualifiée, qui est devenu le mode ordinaire de prise de décision. Cependant, les dispositions des traités qui autorisent une souplesse et une efficacité accrues demeurent largement inutilisées. Il en va ainsi de l’article 153, paragraphe 2, du TFUE et de l’article 48, paragraphe 7, du TUE. Dans sa communication, la Commission indique les domaines dans lesquels elle considère que le recours à ces mécanismes dans un avenir proche offre une valeur ajoutée permettant d’améliorer l’efficacité et les résultats de l’action de l’Union.

La Commission engage le débat sur la possibilité de recourir, dans un avenir proche, aux outils prévus dans les traités pour faciliter la prise de décision dans le domaine de la non-discrimination et l’adoption de recommandations en matière de sécurité sociale et de protection sociale des travailleurs. Cela contribuerait à développer une protection égale contre la discrimination et à moderniser nos systèmes de protection sociale, en renforçant leur capacité à faire face aux changements et aux défis à venir, et en soutenant la convergence des systèmes.

Qu’est-ce que le vote à la majorité qualifiée ?

Le vote à la majorité qualifiée va au-delà de la règle de la majorité simple, qui exige d’atteindre plus de 50 % des votes. Les abstentions n’étant pas comptées comme des votes favorables, l’obtention de la majorité nécessite que les États membres se prononcent explicitement en faveur d’une proposition et votent pour celle-ci. Deux conditions sont requises pour l’obtention d’une majorité qualifiée : 55 % des États membres votent pour et la proposition est soutenue par des États membres représentant au moins 65 % de la population totale de l’Union.

Pourquoi la Commission plaide-t-elle en faveur de l’utilisation de la clause « passerelle » afin de faciliter la prise de décision en matière de non-discrimination et l’adoption de recommandations en matière de sécurité sociale et de protection sociale des travailleurs ?

Non-discrimination

L’Union s’est dotée de dispositions juridiques exhaustives en matière de protection contre les discriminations fondées sur le sexe et la race. Toutefois, en raison de contraintes liées à la nécessité d’un vote à l’unanimité, l’égalité de traitement par rapport à la religion ou aux convictions, au handicap, à l’âge et à l’orientation sexuelle n’est pas garantie dans la même mesure.

L’égalité est l’une des valeurs fondamentales de l’Union. La discrimination n’a pas sa place dans l’Union. Pourtant, une enquête Eurobaromètre montre que 12 % de la population de l’Union considèrent faire partie d’un groupe menacé par les discriminations. Parmi les personnes ayant répondu à l’enquête, une sur cinq fait état d’une expérience personnelle de discrimination ou de harcèlement au cours des 12 mois précédents.

Pour les personnes concernées, tout déni de leurs droits du fait d’une discrimination peut entraîner un préjudice matériel ou non matériel, par exemple une perte de revenus ou un problème de santé. Pour la société, les discriminations peuvent avoir des répercussions négatives sur le PIB et les recettes fiscales, ainsi que sur la cohésion sociale.

Sécurité sociale et protection sociale des travailleurs

Les marchés du travail évoluent ; aussi les systèmes de protection sociale doivent-ils être réformés à l’échelon national pour que notre modèle social reste adapté, que personne ne soit laissé de côté et que les citoyens comme les entreprises de l’Union tirent le meilleur parti de l’évolution du monde du travail.

Les transformations démographiques, telles que le vieillissement de la population, la baisse de la natalité et l’allongement de l’espérance de vie, auront des répercussions sur la capacité des États membres de garantir une protection sociale adéquate. Aujourd’hui, un retraité est soutenu par quatre travailleurs : en 2060, il ne le sera plus que par deux. En outre, le monde du travail est en train de changer radicalement. L’émergence de toute une série de relations d’emploi différentes, exacerbée par les changements technologiques et les plateformes numériques, engendre déjà des disparités dans la couverture de la protection sociale. La réduction du nombre de contribuables met en danger la viabilité sociale et économique de nos systèmes de sécurité sociale.

De plus, le monde du travail de demain requerra des investissements massifs dans l’apprentissage tout au long de la vie, la formation, le perfectionnement professionnel et la reconversion, que les systèmes de protection sociale nationaux prennent insuffisamment en charge aujourd’hui.

L’adoption à la majorité qualifiée de recommandations dans ce domaine aiderait les États membres à tirer le meilleur parti des possibilités offertes par les changements en cours.

Pourquoi la Commission ne propose-t-elle pas d’en faire de même pour les autres domaines ?

Pour les trois autres domaines examinés, il ne semble pas exister à l’heure actuelle d’arguments plaidant clairement en faveur du recours à la clause passerelle.
– Conditions d’emploi des ressortissants des pays tiers : un vaste cadre juridique en matière de migration a déjà été adopté par l’Union à la majorité qualifiée en vertu d’un autre article (article 79, paragraphe 2, du TFUE), et les ressortissants de pays tiers en séjour régulier sont couverts au même titre que les autres travailleurs dans la législation du travail de l’Union adoptée en vertu de l’article 153.
– Protection contre les licenciements : il existe déjà des mesures ciblées pour protéger les travailleurs les plus vulnérables (par exemple, les femmes enceintes) en vertu du droit de l’Union, et pour le reste, il existe des liens étroits avec les systèmes nationaux et une grande diversité entre eux, y compris en ce qui concerne le rôle du dialogue social.
– Représentation et défense collective des intérêts : il semble que l’abandon de l’unanimité sur ces questions sensibles, qui ont beaucoup à faire avec les règles et les traditions nationales, notamment le rôle des partenaires sociaux, ne présente aucune valeur ajoutée pour l’Union.

La Commission reste disposée à revoir son évaluation à la lumière de l’évolution de la situation et de la discussion qui devrait suivre la présente communication.

Cela réduirait-il les pouvoirs de décision des États membres de l’Union ou aurait-il une incidence sur le rôle des partenaires sociaux ?

Le passage au vote à la majorité qualifiée ne modifierait ni la compétence de l’Union ni celle des États membres en matière de politique sociale. Il ne ferait que donner aux États membres un moyen d’exercer plus efficacement leur souveraineté déjà partagée à l’échelle de l’Union, en leur accordant la capacité de relever des défis communs. Le champ d’application et les conditions d’exercice des compétences de l’Union ne changeraient pas.

Le rôle des partenaires sociaux dans l’élaboration de la législation en matière de politique sociale demeurerait inchangé. La Commission continuerait à consulter les partenaires sociaux avant de soumettre des propositions dans le domaine social. Il convient de noter que, dans la mesure où la majorité qualifiée s’appliquerait aux domaines relevant de l’article 153 du TFUE, elle concernerait aussi et faciliterait la mise en œuvre des accords des partenaires sociaux par des décisions du Conseil, conformément à l’article 155 du TFUE.

Le passage au vote à la majorité qualifiée serait en tout état de cause une décision démocratique entièrement sous le contrôle des États membres. Ce sont eux, en effet, qui ont décidé à l’unanimité d’inclure les clauses passerelles dans les traités de l’Union. Le recours à ces clauses passe par une autre décision unanime du Conseil européen (ou du Conseil). En outre, dans le cas de la clause passerelle générale, tout parlement national peut s’opposer à son utilisation et le Parlement européen doit donner son approbation.

Quelle est la base juridique du passage au vote à la majorité qualifiée ?

Le passage au vote à la majorité qualifiée ou à la procédure législative ordinaire dans les domaines de la non-discrimination et de la sécurité sociale et protection sociale des travailleurs est possible au titre de l’article 48, paragraphe 7, du traité sur l’Union européenne. Il n’est pas nécessaire de modifier les traités de l’Union. Il faut que le Conseil européen décide à l’unanimité d’activer cette clause, que les parlements nationaux ne soulèvent pas d’objection et que le Parlement européen donne son approbation.

L’article 153, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’ Union européenne contient également une clause passerelle spécifique pour la politique sociale. Il ne semble pas exister à l’heure actuelle d’arguments plaidant clairement en faveur de son utilisation.

Quelles sont les prochaines étapes ?

La Commission invite le Parlement européen, le Conseil européen, le Conseil, le Comité économique et social européen, le Comité des régions, les partenaires sociaux et toutes les parties prenantes à engager un débat ouvert sur un recours accru au vote à la majorité qualifiée ou à la procédure législative ordinaire dans le domaine de la politique sociale sur la base de la communication.

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