Comme il l’avait laissé entendre depuis plusieurs semaines, le gouvernement demandera au Parlement de prolonger l’état d’urgence de trois mois. La lutte contre le terrorisme ne doit souffrir d’aucune faiblesse et il serait irresponsable d’ignorer le danger qu’il représente . Ceci demande une mobilisation forte des services de police et de la justice. En même temps cette mobilisation ne peut affaiblir les libertés individuelles ou la vie démocratique , ce qui marquerait la victoire de ceux qui veulent les détruire.
Le bilan de la première phase de l’état d’urgence (3 289 perquisitions administratives, 560 armes saisies, 407 assignations à résidence) est la , tandis que « plusieurs projets terroristes en gestation sur le territoire national ont été déjoués ».
Un très grand nombre de mesures mises en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence ont visé des personnes de confession musulmane, ou supposées telles. La liberté de manifester – liberté fondamentale dans toute démocratie – s’est également trouvée prise dans les mailles sécuritaires de l’état d’urgence.
Parmi les effets les plus préoccupants de la mise en œuvre de l’état d’urgence figurent les perquisitions administratives réalisées sans autorisation judiciaire préalable et les assignations à résidence de bon nombre de personnes sans lien avec le terrorisme. Bien que les chiffres communiqués par les autorités fassent état d’une diminution du nombre de ces mesures, des préoccupations demeurent quant à leur légitimité et à leur proportionnalité. Le juge administratif exerce certes un contrôle a posteriori, mais le juge judiciaire – garant de la liberté individuelle – est exclu du processus décisionnel, qui repose ainsi uniquement sur l’autorité administrative.
Dans ce contexte de nécessaire état d’urgence , il nous faut donc aussi entendre les voix de ceux qui s’inquiètent des risquent d’atteintes aux libertés fondamentales.
L’ancien ministre de la Justice et actuel Défenseur des droits, Jacques Toubon, dont l’institution publie aujourd’hui son rapport annuel, s’inquiète du « glissement » vers « un régime d’exception durable ». Les notions nouvelles de « suspicion de comportement dangereux », présentes à la fois dans la loi sur l’état d’urgence et dans le projet de loi de réforme de la procédure pénale, inquiètent le Défenseur des droits, dans la mesure où cette simple suspicion peut aujourd’hui conduire à des mesures aussi graves que l’assignation à résidence. Garder une personne assignée à résidence sur la base d’une supputation est « totalement contraire à nos principes », s’indigne dans Le Monde l’ancien garde des Sceaux, qui craint que l’on entre dans « l’ère des suspects ».
Amnesty international estime que la prolongation de l’état d’urgence, est « lourd de conséquences pour les droits humains », et estime que les mesures d’urgence sont « formulées de manière trop vague », ce qui ouvre la porte à des mesures « arbitraires », souvent effectuées « sur des bases discriminatoires ». Cette organisation examine dans son rapport à ce sujet, des dizaines de témoignages de personnes visées à tort notamment par des perquisitions administratives : personnes perquisitionnées de nuit sans suite et sans que les autorités s’expliquent, cas d’un homme de 80 ans perquisitionné et menotté en pleine nuit, dégâts dans les habitations (portes défoncées), et surtout nombreux cas de perquisitions, voire d’assignations à résidence, sur de simples présomptions, finalement non fondées.
Au plan européen deux interventions officielles nous alertent :
– le secrétaire général du Conseil de l’Europe a adressé, le 22 janvier, un courrier au président Hollande sur le même sujet. Thorbjorn Jagland y exprime quelques réserves sur la prolongation envisagée de l’état d’urgence , et attire l’attention « sur les risques pouvant résulter des prérogatives conférées à l’exécutif », en particulier sur « les perquisitions administratives et les assignations à résidence ». Le secrétaire général du Conseil de l’Europe propose à l’État français « l’assistance » du Conseil « pour que les réformes à venir s’inscrivent dans le respect des normes européennes relatives aux droits de l’Homme ».
– Dans une tribune dans Le Monde, le Commissaire aux droits de l’homme, Nils Muiznieks,l met en exergue la relative inefficacité de l’état d’urgence, et pointe l’ampleur du glissement. En particulier, le climat de défiance et de stigmatisation vis à vis des croyants en l’Islam dans lequel cette situation policière exceptionnelle intervient, et se maintient, met pour lui en danger la cohésion sociale française.
Que les institutions européennes nous prennent ainsi à partie doit être un signal que notre débat national est en train de perdre le contact avec un certains nombre de principes de bases que nous avons voulu réaffirmer au sortir de la seconde guerre mondiale.
Un Etat démocratique doit s’opposer à la barbarie du terrorisme en évitant d’affaiblir l’Etat de droit et le respect des droits de l’homme. Ne pas réussir à trouver cet équilibre serait une victoire pour les terroristes.
Accéder au rapport d’Amnesty international
Télécharger le courrier du Conseil de l’Europe.
Tribune libre du commissaire aux doits de l’homme ci après :
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