Mai 31

Loi travail : il faut regarder ce qu’elle dit, pas ce qu’on en dit !

code-du-travail-745x450La loi travail fait l’objet de tellement de discours contradictoires, qu’on en oublie parfois de revenir au contenu même du texte. Valérie Fourneyron, Député de l ère circonscription a fait un texte utile pour celui qui veut comprendre le texte. Elle en précise ce qu’elle appelle les « Cinq leviers pour donner du pouvoir aux salariés », les « Dix nouveaux droits sociaux » ; Et puis  elle revient sur Cinq mesures qui ne sont pas dans le projet de loi (on arrête les fantasmes !) mais qui sont toujours évoquées « contre » le texte.

« Loi Travail : prendre un peu de recul et regarder les faits

Le projet de loi travail a été adopté le 12 mai en première lecture à l’Assemblée nationale, à la suite du recours par le gouvernement de l’article 49.3 de la Constitution.

Le Premier ministre a engagé la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur ce texte pour que les relations salariales et les droits des salariés puissent progresser. Pour ne pas revenir sur l’ambition du projet de loi et le compromis qui a été construit dans le cadre d’un dialogue avec les organisations syndicales réformistes et avec la majorité  parlementaire. Pour ne pas offrir surtout le spectacle désolant, lamentable de la division et des postures politiciennes. Si je déplore que le Gouvernement ait dû recourir à cette « arme atomique », je ne me rallie pas à ceux qui œuvrent contre leur camp, pour des raisons purement politiciennes, et qui font tout pour faire échouer une majorité dont les valeurs, l’engagement et le combat de gauche, pour l’emploi et la justice sociale n’ont jamais dévié.

La version du texte votée intègre heureusement les nombreuses améliorations parlementaires apportées en commission des affaires sociales et en commission des affaires économiques, à travers la prise en compte de 469 amendements. On ne le dit pas assez mais ce texte est radicalement différent de sa première version, qui franchissait (je le reconnais volontiers) plusieurs lignes rouges. L’usage du 49.3 ne permet pas de saluer ce travail extrêmement intense de co-construction parlementaire . Quel dommage ! Un débat parlementaire aurait sans doute permis de rétablir quelques faits et de tordre le coup aux nombreuses idées fausses qui circulent encore sur ce texte (ce que j’ai écrit dans ses pages il y a quelques semaines – voir mon article ici )

Le projet de loi, tel qu’il est rédigé aujourd’hui, est favorable à un dialogue social qui réponde mieux aux besoins du terrain et des salariés, en soutien aux PME / TPE qui constituent le tissu économique de notre pays, qui portent la dynamique de création d’emplois et donnent ainsi une chance supplémentaire à la reprise économique qui s’amorce.

Dire non à ce texte, c’était aussi dire non à de nouveaux droits pour les salariés (le compte personnel d’activités, la garantie jeunes, le droit à la déconnexion, la lutte contre le détachement illégal, l’encouragement au CDI…) et choisir la voie de l’immobilisme face au chômage.  Comme la majorité de mes collègues députés socialistes, ma principale préoccupation est de faire en sorte que cette loi favorise l’emploi, qu’elle réponde aux défis du monde du travail du XXIe siècle, qu’elle permette de sortir d’une société de la précarité, en cassant les inégalités qui caractérisent le marché du travail, en faisant confiance au terrain, en donnant plus de souplesse dans l’organisation du temps de travail aux entreprises capables de créer de l’emploi et en donnant à chaque salarié plus de protection.

Il est donc temps de prendre un peu de recul sur la « Loi El Khomri », de regarder son contenu réel, ses objectifs et son évolution… De dire ce qui est vraiment dans ce texte et ce qui n’y est pas, en dépit des fantasmes, afin d’éclairer les citoyens par des faits.

Je recommande aussi fortement la lecture de ce très bon papier sur le blog de mon collègue Guillaume Bachelay qui explique très bien la genèse, le parcours et les motivations de ce texte, par rapport à la réalité de l’économie du XXIe siècle et du monde du travail. Comme le disait Winston Churchill : « Le changement mieux vaut le prendre par la main qu’attendre qu’il vous prenne à la gorge ».

Cinq leviers pour donner du pouvoir aux salariés

Ce projet de loi donne du pouvoir aux salariés. Il renforce les enjeux et les outils du dialogue, pour donner aux acteurs de terrain davantage de prise sur les décisions. C’est un enjeu de compétitivité, pour permettre à chaque organisation de s’adapter à ses contraintes, mais aussi, voire surtout, un enjeu de démocratie, pour associer chacun aux décisions qui les concernent.

1. Un dialogue social de proximité renforcé.

Pour renforcer le dialogue social, il faut en renforcer les enjeux. Autrement dit, on ne peut vouloir renforcer le dialogue social et le vider de ses enjeux. Plus il y a à négocier, plus il y a d’enjeux, plus cela vaut la peine de s’impliquer dans le dialogue, plus cela permet aux acteurs de terrain, au premier titre desquels les syndicats et les salariés, de participer aux choix de l’entreprise et d’influer sur le cours des choses. C’est pourquoi le champ de la négociation, notamment en matière d’organisation du temps de travail, est élargi.

2. Une consécration du principe majoritaire.

Pour être valides, les accords devront être signés par des organisations syndicales représentant au moins la majorité des salariés. Dès 2016, pour tout ce qui concerne la durée du travail, et à partir du 1er septembre 2019 au plus tard pour tous les autres thèmes. Cela renforcera la légitimité des accords. Jusqu’ici, il suffisait que des syndicats représentant 30% des salariés l’approuvent, et que les syndicats représentant la majorité des salariés ne s’y opposent pas. C’est évidemment un renforcement de la démocratie sociale.

3. Un référendum d’entreprise à l’initiative des syndicats.

Dans les cas où l’enjeu de l’accord le justifiera aux yeux des organisations syndicales qui l’auront signé, et à condition que celles-ci représentent 30% des suffrages, elles pourront déclencher une consultation des salariés. Elle donnera l’occasion aux salariés de s’exprimer sur leurs conditions de vie au travail et les choix qui les concernent directement. Les accords s’appuieront ainsi sur des consensus beaucoup plus larges et les salariés seront mieux défendus. Cette consultation sera à l’initiative des organisations syndicales, qui sont les acteurs incontournables de la négociation : c’est une différence majeure avec les propositions qui promeuvent un référendum à l’initiative des employeurs, qui constitueraient un véritable contournement des syndicats.

4. Un élargissement de la négociation à toutes les entreprises.

Pour lutter contre les « déserts syndicaux », la loi élargit la possibilité pour les entreprises qui souhaitent négocier des accords mais n’ont pas de délégués syndicaux, de négocier avec un de ses salariés mandaté par une organisation syndicale. Cela concerne une grande majorité des entreprises.

5. Plus de moyens pour des syndicats plus forts, et des salariés mieux représentés.

Pour renforcer le dialogue social, la défense des salariés et des entreprises, il faut des syndicats forts. Le projet de loi oeuvre en ce sens : il augmente de 20% les heures des délégués syndicaux et renforce la formation des négociateurs. Ces avancées viennent s’ajouter à toutes celles mises en oeuvre depuis le début du quinquennat : création d’un fonds de financement du dialogue social avec des moyens renforcés pour les syndicats, garantie de non-discrimination salariale pour les représentants du personnel, valorisation des parcours syndicaux, amélioration de la formation syndicale, …

Cette place plus grande donnée à la négociation s’inscrit dans le prolongement de ce qui a été fait depuis 2012 : présence des salariés au conseil d’administration des grandes entreprises, instauration du principe de négociation pour les plans de sauvegarde de l’emploi (près de 2/3 d’accords majoritaires, réduction par 3 des PSE finissant devant les tribunaux, de 1/4 à 1/12), … Elle s’inscrit plus largement dans le droit fil des lois Auroux de 1982 et des lois Aubry de 1998.

Dix nouveaux droits sociaux

Ce projet de loi crée de nouveaux droits sociaux. Loin d’être des prétextes un peu vagues ou des concepts abstraits, ils constituent des avancées précises et concrètes qui permettront de répondre à des revendications anciennes et d’améliorer la vie des Français.

1. Création du compte personnel d’activité.

C’est un progrès social majeur, qui concrétise la sécurisation des parcours professionnels, revendiquée depuis 10 ou 15 ans, et vient constituer le capital de droits de ceux qui travaillent. Il vient attacher les droits à la personne, quels que soient ses changements d’emploi ou de statut. Il s’inscrit dans le prolongement de la création du compte pénibilité et du compte personnel de formation, qu’il consolide. Concrètement, il permet à chacun d’accumuler des heures utilisables selon son choix : formation, accompagnement dans un projet de création d’entreprise, bilan de compétences, et pour certains, passage à temps partiel ou départ anticipé à la retraite. En plus, il vient doter de droits supplémentaires ceux qui en ont le moins : droit à une formation qualifiante gratuite pour les jeunes décrocheurs, droits majorés pour les salariés qui ont dû arrêter leurs études tôt sans qualification (48 heures par an, contre 24 heures pour les autres salariés).

L’engagement citoyen, en service civique, dans la réserve sanitaire ou comme tuteur d’un apprenti par exemple, sera valorisé en donnant droit à des heures en plus.

2. Généralisation de la garantie jeunes.

Ce dispositif, qui permet à des jeunes en situation de précarité, ni en emploi, ni en formation, ni en étude, de s’installer dans la vie active grâce à un parcours complet et intensif d’accès à l’emploi, associé à une aide financière pouvant aller jusqu’à 461 € / mois, a fait ses preuves. Plus de 55 000 jeunes en ont bénéficié depuis 2013, plus de 100 000 en auront bénéficié d’ici fin 2016. Le projet de loi la généralise à l’ensemble du territoire en 2017, et en fait un droit universel pour tous les jeunes en situation de précarité.

3. Création d’une aide à la recherche du premier emploi.

Cette aide nouvelle, répondant aux difficultés que les jeunes peuvent avoir pour s’insérer rapidement sur le marché du travail, soutiendra les jeunes diplômés d’origine modeste pendant qu’ils cherchent à entrer sur le marché du travail. Elle sera versée chaque mois pendant 4 mois aux jeunes diplômés. Cette période de 4 mois correspond au temps moyen passé au chômage chez un jeune diplômé au cours des 3 premières années de sa vie active. Il importe d’avancer rapidement sur le projet de loi travail pour que cette aide soit effective dès la rentrée 2016, comme le gouvernement s’y est engagé auprès des organisations de jeunesse.

4. Création d’un droit à la déconnexion.

Dans une société toujours plus connectée, ce nouveau droit vise à garantir l’effectivité du droit au repos et à assurer le respect de la vie personnelle. Une charte définissant les contours du droit à la déconnexion devra être élaborée dans toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Cette disposition entrera en vigueur au 1er janvier 2017.

5. Droit immédiat à la prise de ses congés payés.

Désormais, les congés pourront être pris dès l’embauche du salarié, et non à compter de l’ouverture des droits, un an plus tard. C’est une avancée forte dans un monde où l’on change de plus en plus souvent d’employeur. C’est une avancée forte pour les jeunes qui commencent leur carrière professionnelle.

6. Renforcement de l’égalité femmes-hommes (protection au retour de congé maternité, …).

S’agissant des congés maternité, la période de protection à l’issue de ces derniers contre le licenciement pour les mères est portée de 4 à 10 semaines. L’extension de cette période de protection s’applique également au second parent, qui en bénéficie à compter de la naissance de l’enfant, ainsi qu’aux parents adoptants. Par ailleurs, l’employeur sera désormais tenu de rembourser à Pôle emploi les indemnités chômage versées à la personne licenciée suite à un traitement discriminatoire ou à des faits de harcèlement moral ou sexuel. L’interdiction des agissements sexistes sera rappelée dans le règlement intérieur, comme c’est le cas en matière de harcèlement moral et sexuel. En cas de licenciement pour motif discriminatoire, lié notamment au genre, à la grossesse, à la situation familiale ou suite à un harcèlement sexuel, l’indemnisation ne pourra pas être inférieure aux salaires des 6 derniers mois ; …

7. Travailleurs saisonniers.

Les droits des salariés saisonniers sont renforcés, grâce à la facilitation de la reconduction de leur contrat et la prise en compte de leur ancienneté. La possibilité est en effet ouverte d’une négociation d’entreprise sur ces sujets, dans le cas où les négociations de branche n’aboutiraient pas, avec une attention portée à la présence d’indemnités financières de fin de contrat en cas de non reconduction. Le projet de loi prévoit également, en l’absence d’accord de branche ou d’entreprise, l’expérimentation pendant 3 ans du recours au contrat de travail intermittent pour l’emploi saisonnier, prenant en compte la pluriactivité des saisonniers via des accords territoriaux.

8. Salariés de franchisés.

De nouvelles protections sont apportées aux salariés des réseaux de franchisés (instance de dialogue, …).

9. Personnes handicapées.

Une nouvelle mission est explicitement donnée au CHSCT en faveur des travailleurs handicapés. Les personnes handicapées feront l’objet d’une surveillance renforcée par la médecine du travail. La prise des congés payés pourra être adaptée en cas de contraintes liées à la présence d’un enfant ou adulte handicapé au foyer, et la présence d’un enfant handicapé, d’un adulte handicapé ou d’une personne âgée en perte d’autonomie constituera un critère supplémentaire pour l’ordre des départs en congés ; …

10. Salariés outre-mer.

Les conventions collectives s’appliqueront désormais de manière automatique aux départements d’outre-mer. Le projet de loi travail inverse par là le principe posé par la loi Perben.

Cinq mesures qui ne sont pas dans le projet de loi (on arrête les fantasmes !)

La désinformation concernant le contenu de ce projet de loi doit être combattue. Cinq mesures souvent évoquées n’y figurent absolument pas.

1. Il n’y a pas de suppression du principe de majoration des heures supplémentaires.

Demain comme aujourd’hui, les heures supplémentaires doivent être payées avec une majoration. C’est essentiel pour préserver le pouvoir d’achat des salariés. Ce qui change avec le projet de loi : les entreprises pourront éventuellement prévoir, par accord, un taux de majoration éventuellement inférieur à celui fixé par la branche. Mais il ne devra jamais être inférieur à 10%. Cela permettra aux entreprises d’adapter le taux de majoration en fonction de la situation économique ou de la taille de l’entreprise, qui peuvent être différentes au sein d’une même branche, et en fonction d’autres contreparties prévues par accord (intéressement par exemple). Ceux qui veulent remettre en cause les heures supplémentaires, c’est ceux qui proposent de supprimer les 35h.

2. Il n’y a ni suppression ni remise en cause de la durée du temps de travail à 35h.

Dès les lois ayant mis en place les 35 heures, des souplesses et des aménagements ont été mis en place pour permettre aux entreprises d’adapter le cadre de cette durée légale à leurs spécificités. Le projet de loi s’inscrit dans cette logique. Il ne faut pas faire de confusion : ce projet de loi préserve les 35h.

3. Il n’y a ni suppression ni remise en cause du CDI.

Le projet de loi ne porte pas d’atteinte au CDI, qui doit rester la forme normale de contrat de travail. Elle ne favorise pas non plus les licenciements, qui devront, comme avant, être justifiés par des difficultés économiques, dont la réalité et la gravité doivent être démontrées par l’entreprise. Le projet de loi sécurise la définition du licenciement économique, plus protecteur pour les salariés, pour mieux garantir leurs droits, avec des règles adaptées à la taille de l’entreprise. En procédant à cette clarification, l’objectif n’est pas de remettre en cause le CDI, mais au contraire de le conforter et de lutter contre la segmentation du marché du travail. Aujourd’hui, compte tenu des incertitudes des employeurs si la situation ne se passe pas comme prévu, ils privilégient massivement le CDD : ceux-ci représentent 80 % des embauches, dont la moitié qui durent moins d’une semaine. Cela n’existait pas il y a 15 ans. Il faut combattre cette précarité nouvelle.

4. Il n’y a pas de suppression des congés en cas d’événements familiaux (décès, mariage, naissance, …).

Au contraire : un plancher est fixé à l’accord pour la durée des congés pour événements familiaux. Au-delà : un minimum de 5 jours est fixé pour le décès d’un enfant, au lieu de 2 actuellement.

5. Il n’y a pas de restauration de l’apprentissage dès 14 ans.

La loi Cherpion, permettant l’apprentissage dès 14 ans, a été abrogée en 2013 : il n’est plus possible d’entrer en apprentissage avant 16 ans (ou en pré-apprentissage avant 15 ans). En cohérence, ce gouvernement n’a aucune intention de réinstaurer ce qui constituait un dispositif d’exclusion précoce du collège. Une proposition de loi de l’opposition a encore été rejetée à l’Assemblée nationale en février dernier. Si des mesures doivent être prochainement adoptées en matière d’apprentissage, elles concernent l’amélioration de la rémunération des apprentis, notamment par l’augmentation des minima légaux des plus jeunes, de 16 à 20 ans, que l’Etat prendra à sa charge au 1er janvier 2017 : telle est la mesure programmée pour lutter contre les effets de seuils liés à des critères d’âge, issue de la concertation avec les organisations de jeunesse.

Et aussi : quelques autres avancées de la loi

Renforcement contre la fraude au travail détaché, pour constituer l’arsenal le plus abouti d’Europe
Renforcement des branches professionnelles, en mettant fin à leur éclatement (passage de 700 à 200 branches en 3 ans) et en leur confiant la réalisation d’un bilan annuel des accords d’entreprise pour vérifier leurs conséquences sur les conditions de travail et la concurrence entre les entreprises
Rénovation du code de travail en 2 ans pour renforcer la négociation collective, avec les parlementaires et les partenaires sociaux
Possibilité de conclure des accords types de branche qui pourront être directement déclinés dans les petites entreprises
Possibilité de moduler le temps de travail élargie dans les PME pour faciliter l’adaptation à l’activité.
Création d’un service public d’accès au droit pour les PME
Maintien du périmètre d’appréciation du licenciement économique à l’identique de la situation actuelle
Amélioration de la médecine du travail : la visite d’information/prévention faite par un membre de l’équipe pluridisciplinaire fera l’objet d’une attestation… »

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