L’ancien président de l’Assemblée des départements de France (2004-2015) et du conseil départemental des Côtes-d’Armor (1997-2015) a remis son rapport de mission « Aménagement du territoire : refonder les relations entre Etat et collectivités territoriales » que le Premier ministre lui avait confiée en juin 2015.
Dans un entretien très intéressant à Maireinfo que je reproduis ici, il plaide pour un Etat fédéral !!
Vous estimez que « la réforme territoriale ne constitue pas un nouvel acte de décentralisation ». Pourquoi?
Nouvelle organisation territoriale de la République, réforme de la carte régionale, modification des périmètres intercommunaux, création des métropoles, etc., nous avons assisté à un empilement de réformes qui présupposent que la taille est garante de l’efficacité, en négligeant la proximité. Quand nous mettons tout cela en perspective et que nous interrogeons le gouvernement et le législateur sur leurs motivations, nous n’avons pas de réponses précises sur le mobile et le sens de ces réformes ! L’Etat semble dépourvu d’une vision des territoires, il ne parvient plus à construire un « récit républicain » qui donne confiance et trace des perspectives pour les élus locaux et les citoyens. Il y a une perte de sens collectif et civique.
Que vous ont dit les élus ?
Les élus, comme les citoyens et les chefs d’entreprises que nous avons rencontrés veulent du « co » : coproduction de l’action publique, co-analyse, co-élaboration, co-décision. Ils rejettent catégoriquement un Etat qui impose tout d’en haut et qui contrôle. Ils demandent un Etat stratège qui les accompagne sur les grands sujets : le numérique, la lutte contre le réchauffement climatique, les transports, etc.
Comment « refonder le partenariat entre l’Etat et les collectivités locales » ?
L’Etat doit impérativement se recentrer sur ses missions régaliennes et transférer de nouvelles compétences principalement aux régions : l’enseignement supérieur, la santé avec la gestion des hôpitaux, le service public de l’emploi en cogestion avec le préfet. L’Etat devrait renoncer à son pouvoir règlementaire qui entrave l’action publique locale, et le transférer aux régions qui l’adapteraient aux réalités locales.
Vous proposez la création d’un Etat fédéral ?
Absolument. L’Etat formerait un binôme avec les régions lesquelles organiseraient la répartition des compétences avec les autres échelons locaux dans une logique de subsidiarité. Le conseil départemental resterait l’acteur majeur des solidarités sociales et territoriales, le bloc local gérant les services de proximité au public voire peu à peu celui de la sécurité publique. La création d’un Conseil des Collectivités de France, une assemblée consultative sur le modèle du Comité des régions de l’UE, permettrait d’établir un véritable dialogue entre l’Etat et les collectivités sur la conception et la mise en œuvre des politiques.
Quid de l’aménagement du territoire ?
L’Etat ne devrait plus conduire la politique d’aménagement du territoire. Il devrait cesser de saupoudrer ses crédits au gré des CPER dont il ne respecte pas toujours les engagements financiers. Il devrait également renoncer à toute intervention directe sur les territoires de niveau infrarégional. Il doit être plus sélectif dans ses soutiens financiers en tenant compte des spécificités territoriales et des projets coordonnés par les régions. Et veiller à l’équité sur le plan national. Cet exercice de co-construction serait clos par une loi de programmation territoriale couvrant une période de cinq ou sept ans. Les engagements financiers et les priorités associés pourraient être déclinés en contrats qui primeraient sur les zonages qui donnent l’illusion de pouvoir conduire une politique fine de ciblage sur les territoires, mais entraînent avant tout un surcroît de complexité, de bureaucratie et de délais.
J’ajoute que dans son rapport il évoque ce paradoxe : A la question « en 2015, doit-on encore se préoccuper de l’aménagement du territoire national ? » la réponse est unanimement affirmative. Mais à la suivante « cet aménagement doit-il être le fruit d’une politique nationale et conduite par l’Etat ? », les réponses ont été plus évasives et même négatives.
Quatre raisons principales, pour lui, peuvent être avancées pour expliquer ce résultat :
– Des inquiétudes face aux conséquences territoriales et sociales des mouvements d’ampleur globale à l’oeuvre. La perception des répercussions des deux « révolutions » du numérique et du changement climatique varie considérablement parmi les élus, les populations, les acteurs économiques et sociaux.
– Des tensions entre l’Etat et les collectivités territoriales. La Réforme territoriale ne constitue pas un nouvel acte de décentralisation mais elle chahute tous les niveaux de collectivités. La réforme de l’administration territoriale de l’Etat est mal comprise.
– Un désabusement face à la sclérose de l’action publique. L’égalité des territoires est une priorité nécessaire mais pas suffisante pour répondre à l’ensemble des défis. Un réglage fin des instruments (contrats, appels à projets, etc) ne suffira pas.
– La perte de sens collectif et civique, illustrée par une impression d’incompréhension réciproque entre les citoyens et leurs représentants, nourrit un engrenage vers le déclin.
Les neuf propositions majeures qu’il avance :
– Co-construire une ambition territoriale pour la France en Europe
– Créer le Conseil des collectivités de France
– Nommer un Vice-Premier Ministre en charge des territoires et de la démocratie
– Renouveler l’offre publique par le numérique, au-delà de l’e-administration
– « Mettre en capacité d’agir » nos 500 000 élus
– Dynamiser les instances de démocratie locale existantes
– Redéfinir le « contrat territorial » entre les entreprises privées et les acteurs publics
– Faire de la Réforme territoriale un exercice d’apprentissage collectif
– Ouvrir des espaces de créativité et d’essai en desserrant la contrainte administrative
Commentaires récents