Le 13 février dernier, Sauvons l’Europe publiait un article dans lequel nous félicitions de l’orientation générale du programme d’Emmanuel Macron tout en nous interrogeant sur les limites que nous pouvions y percevoir. Les points d’inquiétude portaient notamment sur le dépassement du paradigme de la mondialisation heureuse, l’Europe comme garant des pactes sociaux de l’après-guerre, les relations avec la Mediterranée et le type de coalition politique qu’il propose. Emmanuel Macron nous adresse un courrier de réponse sur ces points dans lequel il sort pour partie du discours pro-européen le plus convenu, confirmant au passage sa reprise de notre proposition sur un Erasmus Euromed. Nous vous en laissons prendre connaissance.
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Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de vous remercier pour votre article du 13 février et les paroles positives que vous avez eues à propos des positions que j’ai exprimées et que je continue à défendre sur des sujets aussi essentiels que l’accueil des réfugiés ou la lutte contre toutes les formes de rente.
Dans le climat actuel, cet engagement est un signal réconfortant. L’indifférence coupable ou le rejet destructeur règne en effet sur le débat européen. C’est pourquoi votre article a retenu toute mon attention.
Tout au long de mon action de ministre et depuis le début de ce débat présidentiel, j’ai mis l’Europe au coeur de la vision que je propose et des propositions que je formule. Je vous invite en particulier à retrouver les positions que j’ai exprimées à Lyon le 24 septembre et à Berlin le 10 janvier lors de mon discours à l’université Humboldt. J’ai détaillé mon projet européen le jeudi 2 mars, au centre de mon programme.
En particulier, j’ai insisté sur la nécessité de ne pas laisser les concepts de souveraineté et de démocratie aux populistes et aux adversaires du projet européen. Les vrais souverainistes sont ceux qui croient dans l’Europe, imparfaite mais perfectible. Car c’est à cet échelon seulement que nous pourrons relever les grands défis du moment : crise migratoire, menaces sur notre sécurité, relance économique, protection commerciale, lutte contre le changement climatique, révolution numérique.
Sur de très nombreux points, je rejoins vos préoccupations. Je souhaiterais en souligner deux, qui nous tiennent tous à coeur.
Il est parfaitement légitime de s’interroger sur la politique commerciale européenne et ses conséquences sociales. En tant que ministre, j’ai mené un combat sans faille contre le dumping, en particulier chinois et indien, dans le secteur de l’acier. Le protectionnisme serait une impasse ; mais l’ouverture sans protection conduit à des drames sociaux injustifiables qui créent inévitablement la tentation du repli. Notre politique commerciale doit être plus protectrice et plus réactive. J’en ai fait un axe clé de mon programme européen, en proposant notamment la mise en place d’un « Buy European Act » permettant de réserver l’accès aux marchés publics européens aux entreprises qui localisent au moins la moitié de leur production en Europe ; en proposant également de créer un instrument de contrôle des investissements étrangers en Europe pour préserver nos intérêts et secteurs stratégiques ; en défendant l’idée d’un procureur commercial européen, chargé de vérifier le respect des engagements pris par nos partenaires et de sanctionner rapidement leur violation, notamment en matière sociale, environnementale ou fiscale. Je souhaite aussi que soit intégré dans tous les accords commerciaux de l’Union européenne un volet de coopération fiscale ainsi que des clauses sociales et environnementales véritablement contraignantes.
Notre politique commerciale doit aussi gagner en transparence, pour ne pas susciter la défiance. A cet égard, je propose la mise en place de comités de vigilance associant des représentants d’associations et d’ONG au cours de la négociation, puis pour l’application des accords commerciaux et l’évaluation de leur impact.
Avec cette politique commerciale renforcée, l’Europe peut être un bouclier essentiel dans la mondialisation. Je n’ai méconnu ou balayé aucune des critiques ou des interrogations légitimes sur les accords de libre-échange, dont le CETA. Mais j’ai toujours défendu, face aux simplifications, que le bon niveau d’action était le niveau européen, car nous serons plus forts unis que seuls, dans les négociations commerciales et la protection de nos intérêts, face aux grands blocs comme la Chine, l’Inde ou les Etats-Unis. Cette action collective suppose des compromis entre les Vingt-Sept, mais elle nous donne une force qu’aucune de nos régions, aucun de nos pays n’aurait seul dans la mondialisation.
Je partage aussi votre analyse sur l’enjeu majeur que représente la convergence fiscale. La confiance dans l’action publique est minée par le doute sur l’égalité face à l’impôt. Les nouvelles formes d’entreprise, avec le développement des géants du numérique, nécessitent également de repenser et de renforcer nos outils fiscaux, pour que l’économie de l’innovation ne soit pas vue comme une économie de l’évasion. Là encore, l’échelon européen est le bon pour mener cette bataille. La commissaire M. Vestager a montré, par son action courageuse, que l’Europe pouvait agir et protéger, quand elle a des pouvoirs forts des compétences claires. J’ai aussi donné à cet enjeu toute la place qu’il mérite dans mon programme, en préconisant notamment la mise en place d’un budget pour la zone euro, dont l’accès sera conditionné au respect de règles communes en matière fiscale et sociale. Je défends également, dans mon projet pour une « Europe du numérique », la définition au niveau européen d’une taxe sur le chiffre d’affaires réalisé dans chaque pays pour les prestations de service électronique, afin d’éviter l’optimisation fiscale indue.
Etre européen, c’est aussi affirmer son identité. Car si nous voulons agir ensemble, c’est par souci d’efficacité, mais avant tout parce nous partageons l’essentiel, des valeurs et des intérêts communs. Je défends ainsi la nécessité de généraliser le programme Erasmus, pour que le sentiment européen ne soit pas l’apanage d’une minorité ou d’une élite. Je veux qu’en 2022, la France permette à 200 000 jeunes chaque année de partir au moins six mois en formation universitaire ou en apprentissage dans un autre pays de l’Union. Au-delà, nous devons étendre ces échanges si enrichissants aux pays voisins de la Méditerranée, comme vous le proposez très justement.
Vous évoquez également les questions d’alliance. Les personnalités qui ont rejoint En Marche, dont de nombreux acteurs européens engagés, viennent de partis politiques différents ; nombre d’adhérents n’avaient jamais connu d’engagement politique auparavant. C’est tout l’esprit d’En Marche de créer un rassemblement autour d’un projet partagé, dont l’Europe est une valeur cardinale. C’est l’action que nous menons aujourd’hui pour désigner des candidats aux élections législatives, et demain aux élections européennes, qui ne seront pas la roue de secours des scrutins nationaux. Nous devons d’ailleurs apprendre de l’esprit de coalition européen, en dépassant l’esprit de confrontation trop souvent à l’oeuvre dans notre pays.
Votre objectif, depuis la création de Sauvons l’Europe, rejoint celui qui est le nôtre aujourd’hui : ne pas laisser le débat sur l’Europe à ceux qui la détestent ou qui l’abandonnent ; défendre ardemment le cadre européen contre ceux qui veulent le détruire, tout en faisant évoluer les politiques que mène l’UE, au service du progressisme.
En Marche est pleinement engagé dans ce combat ; En Marche est pleinement investi dans le débat démocratique et citoyen, de la société civile, des ONG, des syndicats, que vous promouvez et pratiquez.
Face aux tentations mortifères du nationalisme et du rejet, l’heure est au rassemblement urgent des progressistes, dans le respect de leurs différences mais avec la conscience commune des périls graves qui guettent le projet européen et, par là-même, l’avenir de notre pays.
Amitiés européennes,
Emmanuel Macron 2017-03-10
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