Jan 31

Déserts médicaux, numérus clausus : On manque de médecins… il faut en former plus !

L’arrêté fixant le chiffre pour 2018 des admis à la fin de la première année de médecine, a été publié au Journal officiel du 29 décembre ; il limite à   8205 places (+1%) au concours  … pour près de 60.000 étudiants inscrits en Paces (1ère année) conduisant à la médecine , études dentaires, pharmacie ….

En même temps, le manque de médecin que traduit l’idée de « désert médical » inquiète de plus en plus, avec raison, nos concitoyens.

Pour la seule ex Haute Normandie, on avait 4962 médecins actifs en 2007 et on a 4927 en 2015, soit 35 de moins malgré des besoins accrus, le vieillissement de la population, l’augmentation de la population…. Et surtout un déficit déjà existant !

Les délais d’attente pour des rendez-vous explosent, la pénurie encourage les dépassements d’honoraires, la renonciation à se soigner est trop fréquente….

Selon l’Observatoire de l’accès aux soins, Il faut désormais en moyenne 1 semaine pour consulter un généraliste, soit deux fois plus de temps qu’en 2012.

 Un rendez-vous chez un spécialiste s’obtient en moyenne en 61 jours en 2017, contre 48 jours en 2012. Le délai d’attente varie en fonction de la localisation du cabinet médical, et de la spécialité du médecin. Les personnes les moins aisées renoncent parfois à se soigner, faute de moyens.

 La pénurie de généralistes devient dramatique dans certains territoires mais les Médecins du travail deviennent rares, la médecine scolaire disparait, et de nombreuses spécialités sont sinistrées : ophtalmologistes, gynécologues …

Une étude réalisée par l’institut Ifop montre qu’Il faut 156 jours en Bretagne, 146 en Normandie, 144 en Centre-Val de Loire, 132 dans le Grand-Est…   pour obtenir un rendez-vous chez l’ophtalmo (hors urgence)

 Ces chiffres cachent d’autres disparités. La pénurie d’ophtalmos touche davantage les   villes de moins de 20 000 habitants (132 jours d’attente en moyenne), mais toutes les grandes villes ne sont pas bien loties pour autant. Si Marseille (Bouches-du-Rhône) avec 25 jours d’attente et Paris (Ile-de-France) avec 40 jours de délais sont « bien » placées, on compte 70 jours à Nantes (Loire-Atlantique) et 141 jours à Toulouse (Haute-Garonne) pour voir un ophtalmologiste.

Autre enseignement : les médecins pratiquant des dépassements d’honoraires (secteur 2) sont plus accessibles (76 jours en moyenne) que leurs confrères qui n’en facturent pas (102 jours). L’étude identifie un dernier point inquiétant : un quart des ophtalmologistes interrogés par l’IFOP ne prend plus de nouveaux patients… mais c’est aussi le cas pour certains généralistes !

 Les pouvoirs publics, les élus, font feux de tout bois pour mieux repartir les médecins mais ils répartissent surtout la pénurie. « La plupart des aides financières, quoique substantielles, sont inefficaces », affirme un rapport du comité économique social et environnemental

Le dispositif de majoration de 20 % des honoraires des médecins généralistes libéraux dans les zones déficitaires, mis en place en 2007, a engendré une dépense cumulée de 63,4 millions d’euros fin 2010, constatent les deux auteurs de l’avis de cette institution consultative et mettent ces dépenses « en regard de l’apport net de l’ordre de 50 médecins dans les zones concernées ».

 La Cour des comptes dans un rapport récent, propose d’ « instaurer un conventionnement sélectif des médecins spécialistes ». Plus précisément, il s’agirait, « dans les zones sur-dotées en spécialistes de secteur 2, d’autoriser uniquement des conventionnements en secteur 1 » et, dans les zones sous-dotées, de « rendre obligatoire l’adhésion des médecins s’installant en secteur 2 à l’option de pratique tarifaire maîtrisée ». Le message de la Cour est clair : elle ne croit plus aux dispositifs incitatifs, « inopérants » ou « porteurs d’effets d’aubaine excessifs » pour rééquilibrer les installations de médecins.

  Les gouvernements successifs ont refusé de le mettre en place pour ne pas se heurter aux nombreux syndicats médicaux, soucieux de préserver l’exercice libéral de la profession. Une proposition de loi du groupe Nouvelle Gauche visant à obliger les praticiens à s’installer dans les zones peu pourvues, a été remise en avant, mais une proposition de loi similaire avait été déposée en 2016 par l’UDI… et Olivier Faure, l’actuel président de ce groupe, avait à l’époque voté contre : imposer la contrainte est toujours plus facile dans l’opposition, quand on n’a pas à assumer !

Le nouveau Ministre de la santé Agnès Buzyn, n’est pas favorable au conventionnement modulable. A l’Assemblée nationale, elle a jugé que cette mesure « vise à déshabiller Paul pour habiller Jacques car il n’y a pas d’endroit en France où on peut imaginer qu’il y a trop de médecins ».

Dans le même temps, on croise de plus en plus de médecins étrangers et de plus en plus d’étudiants français, partent faire leurs études à l’étranger.

Actuellement, le tableau de l’Ordre recense 58 441 médecins nés dans un pays européen ou extra européen ; ce qui représente 20.1 % de l’ensemble des médecins inscrits au tableau de l’Ordre en 2017 (290 974 inscrits). Soit une hausse de 0.5 point par rapport à 2007 (19.6 %).

Au 1er janvier 2012, le tableau de l’Ordre des deux départements de la région Haute-Normandie recense 389 médecins titulaires d’un diplôme européen ou extra européen.

Certes des palliatifs à cette pénurie existent :   des actes peuvent être confiés à des non médecins : pharmaciens, infirmières, sagefemmes …. Les ophtalmos délèguent de plus en plus souvent une partie de leurs tâches à des orthoptistes (professionnels paramédicaux) et même à des infirmières spécialement formées pour les seconder. Cela permet de dégager un peu de temps médical.

La vente sans ordonnance de pilules peut être développée, Mais, il ne s’agit pas de vendre de cette manière n’importe quelle pilule, car dans ce cas les femmes se rendent moins chez leur médecin traitant ou leur gynécologue, ce qui pourrait faire baisser le nombre de dépistages des maladies féminines.

Certes des Techniques comme la télémédecine peuvent un peu réduire la pénurie de médecins : elles réduisent surtout les déplacements des patients, peuvent mieux répartir les consultations, mais n’augmentent pas leur nombre.

La hausse du plafond cumul emploi retraite est une autre solution, mais paradoxale en période de chômage !

De toutes les façons, les besoins augmentent avec le vieillissement, les maladies professionnelles, la prévention… ; les modes de fonctionnement des nouvelles générations de médecins évoluent : ils veulent plus de collectifs, des horaires moins lourds, la féminisation accroit le temps partiel, et la population augmente …. La croissance du salariat des médecins en est un autre indicateur de ces évolutions.

En 2014, selon le Ministère de la santé, la densité de médecins, c’est-à-dire le nombre de médecins en activité pour 100 000 habitants, atteint en moyenne 370 dans les pays de l’UE15. Elle varie de 230 médecins pour 100 000 habitants en Pologne à 630 en Grèce. Elle est de 410 en Allemagne, en Suède et en Suisse, 440 au Portugal et en Norvège et 500 en Autriche. Avec une densité de 310 médecins pour 100 000 habitants, la France se situe en dessous de la moyenne de l’UE 15.

La densité de médecins a fortement augmenté depuis une quarantaine d’années, mais à un rythme plus faible depuis 1990. La croissance de la densité atteint en moyenne 1,3 % par an entre 2000 et 2014 dans l’UE 15. En revanche, la densité a très peu progressé en France (0,1 %).

Toujours selon le ministère, le nombre annuel de consultations de médecins, généralistes et spécialistes en 2014 n’est pas meilleur ; 6 en France, 13 au Japon, 10 en Allemagne et presque 8 pour la moyenne en Europe

Le paradoxe face à ces constats, c’est l’évolution du numerus clausus, c’est-à-dire le nombre de places maximum offertes pour poursuivre des études de médecine, instauré en 1972 ; on forme moins de médecins aujourd’hui qu’au début des années 70.

Ce dispositif aujourd’hui écarte précocement des étudiants brillants et motivés qui auraient fait d’excellents médecins, pour finir par en retenir, voire en chercher d’autres, dont la formation est inégale.

En 2017, 58.627 étudiants se sont inscrits en Paces dans l’une des 38 universités de médecine, pour 8124 places en médecine (14 %), 3.105 en pharmacie (5,2 %), 1.199 en dentaire (2 %) et 1.000 en maïeutique (1,7 %). À l’arrivée, près de 80 % d’étudiants confrontés au redoublement – qui n’est possible qu’une fois ! – ou à la réorientation.

On ne compte plus alors le nombre d’étudiants recalés au concours qui partent, moyennant finances, faire leurs études de médecine en Roumanie, en Belgique ou en Croatie. Puis reviennent exercer ensuite en France avec l’équivalence des diplômes. Sans compter que le numerus clausus pousse à recruter des étrangers, ce qui dépeuple ces pays de leurs médecins !

Certains, pour contourner le système, reviennent passer, en fin de sixième année, les épreuves classantes nationales. Comme l’a bien montré Boris Cyrulnik , il y a de nombreuses façons de détourner le numerus clausus , dans une économie ouverte .

Instauré en 1972 (avec 8588 places offertes au concours pour toute la France) pour remédier à l’époque au trop grand nombre de médecins, le numerus clausus en médecine a atteint son plus bas niveau en 1993 (3500 places). Il n’a cessé de remonter au compte-gouttes depuis cette date pour atteindre 8205 places seulement en 2018, dont 232 à Rouen et 200 à Caen.

Quarante-cinq ans après sa création, il n’a toujours pas rattrapé son niveau initial alors que, dans le même temps, la population n’a cessé d’augmenter (on compte 15 millions de Français en plus), vit plus longtemps et fait face à l’explosion de maladies chroniques.

Depuis la loi de 2013, des filières alternatives, baptisées «AlterPaces» sont  expérimentées dans 18  universités. Dans les faits, ces intégrations alternatives représentent à ce jour globalement 5 % du numerus clausus. Sur 225 places de ce type il y en a 13 à Rouen !

 Les doyens des facultés de médecine face à l’augmentation du nombre d’étudiants redoutent la pénurie de stages, mais des solutions existent : outils de simulation virtuelle, cours en ligne, et les cabinets libéraux ou les cliniques, peuvent accueillir des stages en dehors de l’hôpital.

 Il faut former plus de médecin sur le long terme. Certes ce sont des formations longues, et la situation exige simultanément des solutions à plus court terme, mais dans un monde ouvert, cette question du numerus clausus ne se pose plus comme dans les années 1970 ? Pourquoi ne pas laisser aux régions le soin de réguler le nombre de formations ? Ne pourrait-on pas aussi par un système de bourses créer un engagement de servir la région, pour les étudiants qui l’acceptent, où vous avez été formé, pendant un certain temps (ce serait gagnant-gagnant !) ?

Concrètement par exemple, on forme 50 médecins de plus en Normandie, on leur propose une bourse d’études et en contrepartie, ils s’engagent pendant 10 ans à s’installer en zone déficitaire

En tout cas ne pas prendre ces décisions maintenant, ne fera qu’accroitre les difficultés à l’avenir !

 Il est certain aussi qu’il ne sera pas possible de refuser à la fois des mesures coercitives d’installation et une quasi-stagnation du numerus clausus ; les territoires ne le supporteront pas !

En complément :  Télécharger l’avis du Cese. et le rapport cour des comptes

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