Circuits courts et pourtant, on passe moins de temps à cuisiner ? pourquoi ?

Face à la question alimentaire aujourd’hui, l’utilisation des circuits courts et la remise en cause des « plats tout préparés » posent la question de la cuisine, de ce qu’elle représente, et de la capacité à cuisiner.

« PSE-Ecole d’économie de Paris » publie un article intéressant à ce sujet, de Marie Plessz et Fabrice Etilé

Selon les enquêtes « Emploi du Temps » de l’INSEE, le temps que les ménages français consacrent à la cuisine chez eux est passé de 71 minutes par jour en 1985 à 61 minutes en 2010.

Lorsque l’on s’intéresse spécifiquement aux femmes en couple, qui étaient et restent principalement en charge des tâches domestiques, la diminution est encore plus marquée : le temps qu’elles passent à cuisiner chutant de 69 minutes par jour en 1985 à 55 minutes par jour en 2010. Trois facteurs essentiels peuvent expliquer ce déclin.

Premièrement, les femmes ont accès à des emplois mieux rémunérés, ce qui peut les inciter à s’investir dans leur carrière et à réduire le temps consacré à la préparation des repas : elles peuvent choisir de travailler plus et recourir plus fréquemment à l’achat de plats préparés, au traiteur ou aller au restaurant.

Deuxièmement, les technologies culinaires et aliments prêts à l’emploi se sont diffusés dans les foyers. Robots, micro-ondes, aliments pré-cuits, légumes pré-lavés et pré-découpés permettent de gagner du temps dans la réalisation des recettes de cuisine.

Enfin, il est possible que la norme sociale traditionnelle du repas familial, dont un élément symbolique important est sa préparation par les femmes, se soit affaiblie. Identifier le rôle respectif de ces différents facteurs est crucial pour la conception de politiques publiques promouvant une alimentation saine. En effet, ces politiques reposent souvent, à tort ou à raison, sur l’a priori implicite selon lequel le retour à des pratiques culinaires traditionnelles favoriserait une meilleure alimentation, avec des bénéfices pour la santé publique.

Marie Plessz et Fabrice Etilé étudient ces divers mécanismes dans deux articles récemment publiés, l’un en économie, l’autre en sociologie. Ils montrent que la hausse de la participation au marché du travail des femmes en couple et celle de leurs salaires observés rend compte de 60% du déclin de leur temps de cuisine. Cependant, les femmes qui travaillent choisissent de le faire en fonction de facteurs inobservés – comme la préférence relative pour le travail salarié ou le travail domestique – qui ont également un impact direct sur le choix de cuisiner moins. Lorsque l’on tient compte de l’effet spécifique de ces facteurs inobservés, seul 20% du déclin du temps de cuisine entre 1985 et 2010 est expliqué par les évolutions des opportunités offertes aux femmes sur le marché du travail.

Le différentiel de 40% résulte donc en partie des préférences qui valorisent plus le travail salarié au détriment de la cuisine et des autres tâches domestiques. Ceci signifie-t-il, pour autant, que la norme traditionnelle du repas familial se soit affaiblie ?

Dans un travail comparatif utilisant les enquêtes « Emploi du Temps » françaises et américaines, ils montrent que la relation positive entre fréquence des repas à domicile et temps de cuisine domestique n’a pas diminué en France entre 1985 et 2010, alors qu’elle s’est largement affaiblie aux États-Unis.

La norme sociale du repas familial cuisiné à la maison a donc résisté aux évolutions du marché du travail en France – même si, en France comme en Amérique, de plus en plus de repas sont pris hors domicile. Les résultats suggèrent, enfin, que la diffusion des technologies culinaires, associée à une diminution des temps de cuisine, pourrait expliquer cette résistance.

En somme, la préservation du repas familial traditionnel et la promotion d’une alimentation saine devraient passer par des politiques favorisant les innovations technologiques permettant d’économiser du temps de cuisine tout en régulant de manière plus stricte la qualité sanitaire et nutritionnelle des aliments transformés, prêts à manger ou à réchauffer.

Titre original des articles académiques :
1. « Women’s Employment and The Decline of Home Cooking : Evidence from France, 1985-2010 »
2. « Is cooking still a part of our eating practices ? Analysing the decline of a practice with time-use surveys »

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