Les enjeux écologiques de la crise alimentaire

505903L’influent agroéconomiste Lester Brown dénonce l’empreinte environnementale excessive et l’insécurité alimentaire qui découlent de la nouvelle géopolitique de l’alimentation. À partir d’une analyse pessimiste et alarmante, il propose un « Plan B » pour sortir la planète de ce cercle vicieux. Mais la marche à suivre reste incertaine et imprécise. Son livre Full Planet est examiné par Michel Gueldry dans une note pour la vie des idées

Neuf chapitres (sur onze) dressent le catalogue des tendances lourdes et des déséquilibres qui forment « une nouvelle géopolitique de l’alimentation » ( p. 115) menaçante. La formidable pression démographique impose la « demographic transition » pour les pays pauvres menacés par « the demographic trap » (« le piège démographique », p. 20-21), d’autant plus que « quelque 3 milliards de personnes consomment vers le haut de la pyramide alimentaire », p. 25) par une alimentation plus carnée et lactée.

Le détournement des produits agricoles pour produire les biocarburants contribue à la hausse des prix alimentaires et aux déficits d’approvisionnement. Diverses formes d’épuisement des ressources se cumulent : érosion des sols qui forment « la peau de la Terre — la frontière entre géologie et biologie », p. 46), surexploitation des eaux qui épuise maints aquifères et impose des puits toujours plus profonds mais moins productifs, et stagnation de la productivité agricole, sauf pour le maïs horriblement vorace en eau. Enfin, le changement climatique banalise les extrêmes, et le Sud est victime d’une ruée mondiale sur ses ressources foncières et agro-naturelles. On sort tristement instruit de cette compilation de mauvaises nouvelles, qui pèse tellement que le déni ou l’accablement peut parfois attaquer le lecteur au cœur.

 Pour Brown  , la fortune des civilisations n’est pas déterminée par Dieu, la lutte des classe, la race, mais par nos rapports avec l’environnement naturel, la nourriture constituant le « weak link » (« maillon faible », avertissement lancé en introduction, p. 5, et réitéré en conclusion, p. 122) des sociétés humaines, y compris pour nos sociétés industrielles avancées. Les crises de survie viennent par l’agriculture et non par l’énergie, et il n’y a pas d’exception à cette loi de l’Histoire.

 Ensuite, puisque la nourriture est le « maillon faible », répondre à l’insécurité alimentaire actuelle n’est plus du seul ressort de la politique agricole, mais doit mobiliser les ministères de l’énergie et des transports, les ressources en eaux, la politique familiale, la politique fiscale, etc. En fait, la crise agro-alimentaire n’est que le canari dans la mine, l’annonciatrice du futur, car c’est la civilisation même qui est en péril, ce qui impose une approche globale, simultanée et pressante de tous les aspects du problème, ce qu’il nomme le Plan B.

  Ce Plan B entend limiter la demande foncière, agricole et aquatique par la stabilisation de la population, la lutte contre la pauvreté, la réduction de l’alimentation carnée et des biocarburants, grands dévoreurs de produits agricoles. Du côté de l’offre, il propose de stabiliser le climat, de revoir les politiques énergétiques et fiscales, d’augmenter la productivité de l’eau et de veiller à la conservation des sols.

Brown a un talent certain pour montrer le général à travers le particulier, pour expliquer les grandes tendances par des histoires révélatrices, comme les Dust Bowls qui dorénavant affectent la Chine et le grand Sahel, ou le stress agricole du Croissant Fertile et pays proches, régions capitales pour la stabilité mondiale.

 Brown propose  une synthèse des grandes tendances des dégradations environnementales, et ses descriptions méthodiques et cumulatives s’appuient sur ses cinquante ans d’analyses scientifiques, d’expérience politique, et de militantisme environnemental. On voudrait tomber d’accord avec ses recommandations générales pour l’action, mais celles-ci négligent de mentionner le rôle des entreprises, de la sensibilisation du public et de l’éducation des nouvelles générations. Ses solutions semblent justes, mais hélas il n’évalue pas leur faisabilité sociale, politique et culturelle, ni les solutions déjà mises en place ; il ne compare pas non plus les initiatives présentes qui marchent, les échecs, et leurs raisons. L’ombre de Malthus plane sur le présent et le futur qu’il décrit, tout comme celles des critiques radicaux du capitalisme, de la consommation, et de la mondialisation. Lester R. Brown ne se fatigue pas de répéter ce que ce monde ne veut ou ne peut pas entendre, mais espérons qu’avec lui, et d’autres bien sûr, nous apprendrons à gérer l’inévitable pour éviter l’ingérable.

 Recensé : Lester R. Brown. Full Planet, Empty Plates. The New Geopolitics of Food Scarcity, New York, W.W. Norton, 2012, 123 p.

 

 

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