Dans un récent article , repris dans Telos, Jacques Barthélémy et Gilbert Cette montrent que la France a un comportement exemplaire de ratification des conventions de l’OIT. J’ai pour ma part évoqué déjà ici le défi démocratique de la mondialisation et la place décisive des accords internationaux
Pour les auteurs, le comportement, en matière de ratification des conventions de l’OIT, diffère fortement d’un pays à l’autre au sein de l’ensemble des pays membres. Dans ces articles, ils cherchent comment concilier efficacité économique et protection des salariés
À ce jour, l’OIT a adopté 190 conventions parmi lesquelles 157 sont actuellement en vigueur, dont 8 « conventions fondamentales » et 4 « conventions de gouvernance ».
Le graphique ci dessus recense le nombre de conventions OIT ratifiées par chacun des 36 pays de l’OCDE : il s’étend de 14 pour les Etats-Unis (parmi lesquelles 12 y sont actuellement en vigueur à 133 pour l’Espagne (dont 87 en vigueur). Ces dénombrements ont été réalisés par les auteurs sur la base des données de l’OIT accessibles en aout 2019.
Aucun lien favorable n’apparait, pour eux néanmoins, entre le nombre de conventions ratifiées et la protection effective des travailleurs : les quatre pays dans lesquels ce nombre est le plus élevé (Espagne, France, Italie et Belgique) comptent parmi ceux pâtissant d’un taux de chômage élevé et, à l’inverse, les quatre pays dans lesquels ce nombre est le plus faible (Etats-Unis, Islande, Corée et Canada) comptent parmi ceux où le taux de chômage est relativement faible.
Cette relation apparente ne signifie cependant pas qu’il existerait nécessairement une relation de causalité inverse entre le comportement de ratification et le taux de chômage. Une analyse plus approfondie serait nécessaire sur ce sujet.
Les contraintes du droit supranational y sont donc plus prégnantes qu’ailleurs, en particulier – c’est essentiel à souligner – dans les pays avec lesquels la France entretient de fortes relations commerciales, dont les pays européens et par exemple les pays nordiques et scandinaves (comme le Danemark, la Finlande la Norvège et la Suède).
Le cas de la convention OIT n° 158 sur les licenciements est particulièrement intéressant à analyser sous cet angle, pour les auteurs. En effet, ce sont les engagements pris dans le cadre de cette convention qui ont abouti en 2008 à l’abrogation du Contrat Nouvelle Embauche (CNE) créé en 2005 et qui sont, entre autres éléments, invoqués pour dénoncer la barémisation des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Or, créée en 1982, la convention 158 n’est à ce jour ratifiée que par 11 des 36 pays de l’OCDE. La Suède fut le premier pays à ratifier cette convention, dès 1983, suivie par la France en 1985. Parmi les quatre pays scandinaves, deux l’ont ratifiée (Suède et Finlande en 1992) les deux autres ne l’ayant pas fait (Danemark et Norvège). Le choix de non ratification de la convention 158 par 25 des 36 pays de l’OCDE ne peut laisser indifférent : ces nombreux pays ont préféré que des normes émanant d’autres sources, en particulier de droit interne (lois, décrets ou conventions) encadrent les conditions du licenciement. La France a choisi de se soumettre plus fortement que de nombreux autres pays aux contraintes d’un droit supranational.
Le droit du travail se veut en France très protecteur via une grande densité de normes réglementaires, mais aussi, on l’a vu, une emprise très forte (comparée aux autres pays) du droit supranational.
Pour autant concilier au mieux efficacité économique et protection des travailleurs reste difficile. Les normes issues de la négociation collective et concrétisées par un accord collectif paraissent les plus à même de faciliter une telle conciliation au niveau local entre les besoins de l’entreprise, nécessairement spécifiques, et les attentes diverses des travailleurs. Le compromis qui fonde l’accord collectif est l’élément déterminant de cette approche. Il est garant de la conciliation entre efficacité économique et protection des travailleurs, tout autant que l’exigence de règles de conduite de la négociation grâce à un accord de méthode.
Si la protection des salariés est construite au prix d’un fort chômage structurel du fait d’une perte d’efficacité économique et d’une appréhension accrue des entreprises à embaucher, les normes élaborant cette protection peuvent-elles réellement être considérées comme protectrices ?
Le renforcement du rôle de la négociation collective en vue de l’élaboration de normes, dans les branches et les entreprises, doit être recherché. Les limites sont celles résultant des principes – des droits fondamentaux donc – mais aussi du droit supranational. Concernant ce dernier, elles résultent, sauf pour celles qui relèvent de l’Union Européenne, du choix de la ratification.
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