Comme Ancien Président de l’Université de Rouen, j’ai souhaité expliciter ici mon point de vue sur l’idée de fusion des universités de Rouen et de Caen
“La fusion des universités est de nouveau une question d’actualité, cette fois envisagée à la seule fusion des universités de Rouen et de Caen, excluant Le Havre.
Cette idée est à la fois inefficace et perturbante.
Inefficace comme la fusion des institutions publiques l’est souvent quand elle est envisagée par dogmatisme de la pensée, que traduit l’adage anglo saxon « Big is beautiful »
Il est paradoxal qu’au moment où les hôpitaux de proximité retrouvent une certaine légitimité ou la course à la grande taille des regroupements intercommunaux semblent moins prisée, la fusion des universités reste un sujet d’actualité dans notre région. A-t-on oublier les critiques sur le « Mammouth » ? Ce que je réfute ce n’est pas de se poser la question de la « bonne taille », c’est l’argument de principe implicite « plus c’est grand, mieux c’est ».
J’ai souvent évoqué cette question des limites à la grande taille des institutions publiques, en privilégiant leurs coopération, leurs mise en réseau, plutôt que leurs fusions, car ces fusions entraînent :
- Des coûts accrus contrairement à ce que l’on croit quand on ne peut maîtriser les coûts cachés des grosses structures ; des coûts accrus par moindre contrôle de ces coûts ; des coûts accrus quand la fusion génère des frais de déplacement inutiles. La plupart des fusions institutionnelles se font sans évaluation préalable des couts !
- Une Démocratie en berne avec une proximité des prises de décision réduite
- Une réactivité amoindrie avec la lourdeur accrue des processus de décision et donc une moindre capacité d’adaptation. N’oublions pas les travaux de Galbraith sur la technostructure !
La diffusion des savoirs et de l’innovation exige une proximité des entreprises et des laboratoires, caractéristique des milieux innovants ; concentrer les sources d’innovation c’est concentrer géographiquement emplois et populations.
À t on remarqué que les établissements les plus gros sont aussi ceux où les étudiants sont les plus isolés, les moins bien accueillis?
Accroître la taille des universités sans raison, c’est conduire de fait à un retour de management par facultés disciplinaires et donc réduire la pluridisciplinarité.
Il est illusoire de corréler la taille des établissements avec leur visibilité au plan international ou avec leur attractivité. La visibilité n’est pas liée à la taille car à ce compte on connaitrait mieux les universités chinoises, et de Pékin toutes les structures européennes apparaissent “petites” . D’ailleurs les établissements d’enseignement supérieur les plus prestigieux dans le monde ne sont pas les plus gros, loin de là puisque les 10 premiers du classement de Shanghai ont moins de 20000 étudiants !
La fusion pour n’avoir qu’une Université de Normandie, n’est qu’un mirage qui ne développera pas notre enseignement supérieur, qui ne palliera pas la jeunesse des universités de Rouen et du Havre! Ce n’est pas la taille qui importe, c’est le travail en réseaux, la mutualisation d’équipements lourds, la pluridisciplinarité des projets, les liaisons internationales, les liens avec les entreprises. Il faut aussi progresser dans la transition du Lycée à l’enseignement supérieur ! À l’autre bout, les écoles doctorales fonctionnent par contre déjà en commun, sur l’ensemble des établissements !
Aujourd’hui se polariser sur la fusion des universités est perturbant:
- d’une part c’est une perte d’énergie dans des débats institutionnels, organisationnels ou statutaires, au détriment de l’élaboration de projets de recherche ou d’enseignement : réfléchissons plutôt à développer des programmes de recherche, à créer des formations nouvelles
- d’autre part cette idée génère des crispations qui paralysent, qui empêchent les acteurs de progresser sur les coopérations indispensables
- Cette perspective inquiète les familles qui craignent que leurs enfants ne puissent poursuivre des études supérieures qu’au prix de coûteux déplacements
- En se polarisant sur la fusion des universités de Rouen et Caen, on exclut de fait d’autres établissements qui s’intégraient dans une coopération élargie à tous les établissements normands, qui réduisaient la coupure regrettable entre écoles et universités
Les fusions d’universités ont un sens au sein d’une même métropole, pas au sein d’une grande région : les 3 universités de Lille fusionnent, mais celles de l’Artois (Arras, Lens..) ou du littoral (Dunkerque, Calais..) pourtant à quelques dizaines de km demeurent dans leur autonomie. Les universités de Toulon ou Avignon demeurent malgré leur proximité de celles d’Aix Marseille. Les universités de Grenoble fusionnent mais celle de Chambéry, pourtant à moins de 60 km demeure autonome tout en s’inscrivant dans une logique de coopération.
Une université est universelle par le savoir, mais s’enracine toujours dans une ville ou une agglomération
Les universités sont des établissements autonomes mais leur mission sont d’intérêt général et à ce titre, leur évolution intéresse tous les citoyens : amplifions les coopérations tout en gardant l’identité de chaque établissement !
2 Commentaires
il ne faut pas avoir de vision bureaucratique ou dogmatique ; l’autonomie des universités devrait être accentué , mais non au prix d’un aspect uniciste : je ne veux voir qu’une seule tête pour dialoguer, et diriger. Ainsi les politiques se prendraient pour les super Présidents d’une seule grande université. N’Oublions pas que les universités doivent également être évaluées par les pairs, aidés par des experts internationaux indépendants (voir l'”erreur ” des avions renifleurs)
jean-pierre martin.
Pour une fois, Monsieur Gambier, je suis entièrement d’accord avec vous!
http://normandie.canalblog.com/archives/2018/10/08/36765584.html
Philippe Cléris,
Etoile de Normandie